Après les articles consacrés à Adobe DPS et à Quark AppStudio, il était intéressant de compléter cette série consacrée à l’édition numérique commerciale avec une revue des solutions proposées par Aquafadas, le seul Français jouant dans la cour des grands aujourd’hui. Ces derniers n’organisant pas (encore) de roadshows, les informations ci-dessous sont le compte-rendu de réunions de présentation des offres d’Aquafadas.
Présentation de la société :
Aquafadas est un éditeur de logiciels d’édition numérique français, créé il y a 6 ans à Montpellier, et racheté par Kobo (lui-même propriété de Rakuten) en octobre 2012. La société compte une cinquantaine de personnes environ, dont une bonne moitié de développeurs, et a réalisé un CA dans l’édition numérique (hors l’activité originelle dans la bande-dessinée) de l’ordre de 2 millions d’euros en 2012.
La presse représente aujourd’hui la majorité des clients d’Aquafadas, avec des entreprises telles que Lagardère (24 magazines sur 25 réalisés avec Aquafadas, l’exception étant Paris Match réalisé avec Adobe DPS), Mondadori (14 magazines sur 27 avec Aquafadas), Bayard, Axel Springer… Les autres types de clients étant les éditeurs de livres (Egmont, Bayard…) ou encore les entreprises industrielles, qui font généralement appel à des agences tierces pour la réalisation de leurs éditions numériques (Prisma Creative Media pour le magazine de Canal+/Canal Sat, Lagardère Custom Publishing pour Nespresso, etc.).
Présentation de l’offre d’édition numérique :
La suite logicielle d’Aquafadas se divise en deux types d’outils : des outils de production, et des outils de diffusion.
Les outils de production fonctionnent en extension à InDesign (ID versions CS5, CS5.5 et CS6), et également à certaines versions de Quark Xpress (9.1 et 9.2 mais pas la nouvelle 9.5). Ils sont téléchargeables sur le site d’Aquafadas et s’installent comme un plug-in à ID, rajoutant ainsi à ce dernier des palettes d’outils d’interactivité et de gestion de document.
Les outils de diffusion permettent la création d’applications mobiles ou d’autres formats de lecture du contenu numérique créé (web reader). La création de boutiques mobiles permet la gestion d’abonnements et d’achat à l’unité intégré.
Outils de production : fonctionnalités spécifiques
L’ensemble des outils est conçu pour être utilisé par de « simples » graphistes, sans compétences de développement informatique, les palettes d’outils fonctionnent donc très simplement par choix de fonctionnalités, clics, et sélection des différentes options d’enrichissement proposées. Les éléments d’interactivité « standard » (diaporamas, vidéos, intégration de liens hypertexte, de pop-ups, d’animations spécifiques…) disponibles dans Adobe DPS ou Quark AppStudio le sont aussi chez Aquafadas, intéressons-nous donc plutôt à leurs fonctionnalités propres plus spécifiques :
– Le menu de navigation : disponible pour une navigation horizontale ou verticale, et servant également de mini-sommaire permettant d’accéder directement à la profondeur d’un article
– 9 types d’effets de transition de pages : tels qu’un effet de type « parallaxe » très apprécié de certains éditeurs (magazines Canal+/Canal Sat par exemple), un effet de léger fondu, ou encore aucun effet de transition.
– La possibilité de créer une version de document unique sous iPad directement exploitable sur Androïd ou sur ordinateur : les documents en mode AVE-PDF sont directement exploitables sur tablette et smartphone (iOS et Androïd. Une liseuse PDF embarquée permet de zoomer sur le contenu, qui s’adapte ainsi automatiquement au format du périphérique de lecture. Ce document pourra aussi être converti au format Flash et intégré dans un web reader, hébergé sur un site web et donc lisible sur ordinateur. Cela permet de ne pas re-dimensionner la maquette et de gagner du temps de production. (Le web reader est prévu de pouvoir être généré directement à partir du plugin ID dans la prochaine version d’Aquafadas, attendue avant fin 2013).
– La lecture guidée (« smart reading ») : module qui guide la lecture en zoomant automatiquement de bloc de texte en bloc de texte sur un pdf non re-maquetté. Cela permet ainsi d’optimiser l’utilisation d’un pdf d’impression en le rendant plus convivial et agréable d’utilisation au lecteur final, qui n’a pas besoin de passer son temps à zoomer et dézoomer au fur et à mesure de sa lecture. La lecture guidée peut être configurée pour un nombre limité de pages (de X à Y), ou en mode automatique pour l’ensemble du document, par exemple pour des documents techniques, ou des quotidiens gérant un grand nombre de flux de contenus et d’éditions (Ouest France, Journal du Dimanche…). Pour Ouest France ou le JDD Aquafadas est allé plus loin en créant de la lecture « destructurée » à partir des XML gérés en workflow automatique, ce qui permet d’aménager également des diaporamas et de rendre la lecture plus facile sur smartphone, mais cela n’est pas possible manuellement sous InDesign, il faut obligatoirement passer par Aquafadas pour le faire. Aquafadas peut également sur étude technique préalable créer une vue article sans XML en entrée.
– Statistiques : Aquafadas a connecté son plug-in à Google Analytics, Xiti, Flurry et bientôt Capptain, ce qui permet d’avoir le choix de sa solution d’analytics, à intégrer à la création du document sous ID. Permet de tagger toutes les pages et tous les enrichissements réalisés.
– Enfin des fonctionnalités ludiques, comme la possibilité d’enregistrer sa voix pour la réécouter, ou encore 8 modules de jeux proposés (coloriage, puzzle, points à relier, labyrinthe…). Ces fonctionnalités moins communes sont liées à la philosophie de développement d’Aquafadas, inspirée d’une logique open source : un développement (payant) peut être fait à la demande d’un client spécifique hors roadmap produit, mais il est ensuite mis à disposition de tous s’il présente un intérêt collectif, ce qui permet à tous de profiter des demandes de chacun, et au passage de ne pas faire supporter à un seul client toutes les mises à jour du plugin.
Le plugin ID est mis à jour tous les deux mois environ. Au-delà des fonctionnalités décrites ci-dessus, difficile d’en savoir beaucoup plus par contre sur la roadmap produit d’Aquafadas, qui ne s’engage pas publiquement sur ce sujet, le rachat par Kobo devant aussi influer directement ou indirectement sur le cours des choses. La compatibilité totale avec Androïd est visiblement un sujet important et consommateur de ressources internes, par exemple…
Il n’y pas d’outils spécifiques de validation du contenu, par exemple dans le cadre d’un processus de validation des créations entre une agence et son client : le client télécharge le document créé sur sa tablette via l’outil de test d’Aquafadas, MyKiosk, et ensuite la démarche de corrections est similaire à celle d’un site web (recettage, sur un document à part).
Outils de diffusion : création d’applications et portail de diffusion
> Création d’applications avec l’AppFactory :
Une fois le document à publier créé, on passe à la diffusion. Pour cela, il faut télécharger l’AppFactory, qui permet de choisir entre une dizaine de gabarits d’applications mobiles, regroupés en 3 grandes familles :
– Un gabarit ou type d’application « mono-document » : pour l’utilisateur final, cela signifie que l’application et le document qu’elle contient sont « confondus », c’est-à-dire qu’on rentre directement dans le contenu à l’ouverture de l’application. Ex : le catalogue de l’exposition Odilon Redon. Toute mise à jour de contenu écrase la version précédente, forcément.
– Un type d’applications nommé « Kiosque » multi-parutions : pour l’utilisateur final, cela signifie que l’application s’ouvre sur une bibliothèque des différentes parutions, par exemple les différents numéros d’un magazine. Ce type d’applications permet d’avoir un historique des parutions et de gérer des abonnements, un format idéal pour la presse par exemple. Le nouveau contenu, par exemple le dernier numéro d’un hebdomadaire ou d’un magazine, est téléchargé automatiquement à sa parution dans le cas d’une parution sur Newsstand d’Apple lorsque l’utilisateur est abonné. A noter qu’Aquafadas permet de publier différents formats de documents au sein d’une même application : pdf, pdf enrichi, .AVE…
– Un type d’applications multi-magazines : format adapté à des groupes de presse ou éditeurs de marques différentes souhaitant regrouper toutes leurs marques sous un même toit numérique. Dans ce cas l’utilisateur, à l’ouverture de l’application, arrive sur un portail lui présentant l’ensemble des marques/titres disponibles, classés en catégories. Ce format permet aussi une intéressante gestion des langues de publication, qui peuvent être gérées comme des catégories, permettant ainsi de publier au sein d’une même application un même titre sous différentes langues.
A noter que la gestion des langues peut aussi s’opérer à travers la définition de droits d’accès utilisateur à certaines applications et pas à d’autres, à condition d’avoir une base de données qualifiée en ce sens. Dans le cas d’un document uniquement bilingue, comme le magazine Air France, les langues peuvent même être gérées directement dans ID, une langue étant associée à un bouton d’action lié à des calques de texte.
L’AppFactory permet ainsi à des graphistes non codeurs de pouvoir simplement, en quelques heures, créer une application répondant à des besoins basiques. Pour répondre néanmoins aux besoins de personnalisation de la majorité des entreprises, Aquafadas met à disposition son SDK (kit de développement logiciel), de manière rémunérée bien sûr, qui contient les codes source de tous les gabarits ainsi que de la liseuse AVE, format propriétaire de publication d’Aquafadas.
> Portail de diffusion, AVEpublishing.com:
Le portail de diffusion est le back-office où se téléchargent tous les outils, et qui va permettre de gérer la (multi)diffusion d’applications.
Avec Aquafadas on peut créer aujourd’hui des applications compatibles avec l’Apple Store (iPad ou iPhone), Google Play, Amazon Store (Kindle Fire), et via la liseuse web, diffuser le même document sur Internet (à héberger dans un site). Certaines limitations existent encore vers Androïd, par exemple les jeux interactifs ne sont pas encore compatibles, et les animations un peu complexes ont du mal à passer… La publication vers l’iBooks Store est aussi possible, via le format ePub, à condition de s’assurer de la lisibilité dans le reader d’Apple.
L’AppFactory permet de générer un .ipa pour une application Apple, ou un .apk pour une application Google par exemple, qui nécessite ensuite de faire la démarche classique de soumission d’application à travers un compte développeur Apple ou Google.
Modèle économique :
Aquafadas a choisi un modèle économique différent de celui d’Adobe DPS ou encore de Quark AppStudio, en n’imputant aucun frais au téléchargement d’applications par l’utilisateur final.
Ses coûts sont donc uniquement des coûts fixes associés à la création et à la publication d’applications. Les coûts d’application sont annuels mais pas ceux de publication. Un éditeur de presse aura le sentiment d’un coût annuel car il publie en permanence des nouveaux contenus mais ça ne sera pas le cas d’un éditeur de contenus non périodiques type livres numériques.
Création de documents :
> Téléchargement du plug-in et de l’outil de test (MyKiosk) : gratuit.
> La majorité des fonctionnalités du plug-in sont gratuites.
> Certains modules ou plug-in additionnels, permettant des créations plus complexes, sont payants, comme par exemple les modules de jeux ou le plug-in d’animation (de l’ordre de 100€/an/poste pour les jeux, par exemple).
> Module d’analytics : 400€/an/poste.
Création d’applications :
> Téléchargement de l’AppFactory : gratuit.
> Coûts annuels par type de gabarit :
>> Appli mono-document : 115€.
>> Appli Kiosque multi-parutions avec abonnement : 500€.
>> Appli multi-magazines avec classement thématique : 3000€.
>> SDK (pour personnaliser les gabarits d’applications) : 15 000€/an/poste pour une plateforme (Apple ou Google), 25 000€/an/poste pour les deux plateformes en même temps. Le SDK est limité à 5 clients/agence, mais le nombre d’applications est illimité.
Diffusion des parutions :
> Diffusion d’une parution (= 1 fichier .AVE) : 280€/plateforme, prix maximum.
> Tarif dégressif au volume:
>> 12 parutions : 2500€/plateforme (soit 208€/parution).
>> 52 parutions : 8000€/plateforme (soit 153€/parution).
Un engagement immédiat pour 2 plateformes (Apple et Google) réduit le coût de la seconde plateforme de 50%.
Au-delà d’un certain volume, ou pour des demandes ad hoc de type workflows automatiques, etc., s’adresser à Aquafadas.
En conclusion, Aquafadas présente une offre et un modèle économiques à l’image de sa taille et de son modèle de développement : astucieux, agiles et d’un opportunisme pragmatique de bon aloi. Face au géant Adobe ou à Quark qui n’a pas dit son dernier mot, la société française n’est peut-être pas encore taillée pour la gestion internationale de grands comptes, mais c’est certainement la mieux positionnée pour séduire toutes les sociétés qui s’initient à l’édition numérique, sans parler de tous les éditeurs industriels et commerciaux qui, n’associant pas de revenu à la majorité de leurs publications, peuvent être grandement freinés par le modèle économique des Américains… Le risque étant néanmoins pour Aquafadas de défricher le terrain pour se faire évincer quand le sujet atteint sa maturité chez ses clients, au profit des concurrents américains plus structurés, mieux équipés, et aux moyens nettement plus considérables. Au-delà de l’axe « livres » clairement tracé par le rachat par Kobo, une spécialisation verticale d’Aquafadas sur certains secteurs commerciaux rebutés par le modèle économique d’Adobe et de Quark pourrait être une bonne stratégie d’anticipation de ce genre de problèmes… En attendant, tous à l’eau avec Aquafadas ?! 🙂
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