Interview Michaël Bertini, DG de L’Atelier des Compagnons
Le secteur du bâtiment est éminemment physique par nature, et ce n’est pas le secteur auquel on pense en premier quand il s’agit de transformation digitale. Pourtant il n’y a aucune raison qu’il ne soit pas concerné, étant un secteur technique, où l’innovation est importante, les savoir-faire et les métiers variés et doivent nécessairement collaborer les uns avec les autres.
Quelles opportunités nouvelles le digital apporte-t-il au BTP ? Découverte avec Michaël Bertini, DG de l’Atelier des Compagnons, qui partage lors de cet entretien sa vision des enjeux numériques du bâtiment étayée par l’ensemble des initiatives menées et expérimentées au sein de son entreprise.
Transcription intégrale de l’interview:
Youmna Ovazza: Bonjour, je suis aujourd’hui avec Michaël Bertini, Directeur général de l’Atelier des Compagnons, pour discuter de transformation digitale dans le bâtiment.
Le secteur du bâtiment est éminemment physique par nature, et ce n’est pas le secteur auquel on pense en premier quand il s’agit de transformation digitale. Pourtant il n’y a aucune raison qu’il ne soit pas concerné, étant un secteur technique, où l’innovation est importante, les savoir-faire et les métiers variés et doivent nécessairement collaborer les uns avec les autres.
Quelles opportunités nouvelles le digital apporte-t-il au BTP ?
Michaël Bertini : Bonjour, je suis Michaël Bertini, je co-dirige avec mon frère Fabien l’Atelier des Compagnons, entreprise générale de bâtiment. Notre métier est de faire des travaux sur du patrimoine existant, privé comme public, et on fait de la réhabilitation et de la rénovation de ces bâtiments-là. Notre taille : on fait aujourd’hui ~50 millions d’euros de chiffre d’affaires, on est ~200 salariés et il y a 10 ans, on était 4 personnes et on faisait 400 000 € de CA. Donc une énorme croissance, qui nous a permis aujourd’hui de développer une transformation digitale et d’essayer de porter dans les métiers du bâtiment, une volonté d’outils numériques, un centre de R&D, un siège social moderne, dynamique, et plein d’outils qui sont assez importants pour imaginer le monde du bâtiment de demain et faire en sorte que justement, toutes ces industries qui bougent aujourd’hui dans des secteurs connexes, bougent également dans les métiers du bâtiment, dans lequel on ne les attend pas forcément.
YO : Pour commencer, que signifie concrètement pour vous, la « transformation digitale » ?
MB : Pour nous, dans le bâtiment, ça signifie plusieurs choses. Premièrement, c’est comment est-ce que les outils numériques, donc les logiciels, vont faire en sorte de porter la transformation : améliorer l’efficacité, la pertinence, le service client… Donc concrètement, nous avons créé un laboratoire de R&D chez nous, depuis un peu plus d’un an, où nous avons des ingénieurs salariés qui travaillent sur 3 typologies d’activités et qui servent la transformation digitale de notre métier.
La première activité, c’est tout ce qui va être logiciels métier. On développe en interne, des logiciels qui servent à gérer une affaire, un chantier, à faire des devis de manière plus efficace, plus rapide, plus certaine en termes de métrés pour nos clients, et qui apportent donc un meilleur service, et c’est aussi la possibilité de développer un ERP global bâtiment, et qui permet d’aller de la partie commerce tout autour du chantier, jusqu’aux DOE et à l’exécution finale d’un chantier. Aujourd’hui il n’existe pas de logiciel global, et nous avons décidé de le créer nous-mêmes, en open source, pour permettre au plus grand nombre ensuite d’y avoir accès ; notre logique a été de faire des groupes de travail avec l’ensemble de nos collaborateurs, par métier (les assistantes, les conducteurs de travaux, les ingénieurs études de prix, les commerciaux et autres), et leur demander de quoi ils avaient besoin. Nous avons mis tout cela dans un énorme cahier des charges, et traité l’exécution de cette partie-là. Ca va prendre sa réalité à partir de septembre, où on aura un logiciel global, qui va nous permettre de gérer de manière plus efficace, plus transparente et plus précise, la relation client et la gestion d’un chantier.
Un exemple très précis : quand demain on fait un métré de devis ; nous typiquement quand aujourd’hui on fait le métré d’une peinture, on prend un papier et un stylo, et on regarde à peu près les mesures avec ce qu’on appelle un cutch, une règle graduée. Demain, ce sera fait directement sur des plans, de manière informatique, de manière automatique, et ça permettra d’éviter justement des erreurs, d’être plus transparents vis-à-vis de nos clients, et on pourra leur dire « vous achetez tant de m² de ceci », c’est une réalité de chiffres.
Donc voilà, ce genre de choses-là. Sur le suivi de chantier, c’est pareil. Le suivi de chantier, c’est demain pouvoir être transparent avec nos clients et de leur dire « voilà où on en est de votre chantier, voilà ce qu’on a commandé, ce qu’on n’a pas commandé, voilà où on en est de telle et telle tâche, de tel enchaînement », et donc de pouvoir rétablir un peu l’équilibre des « sachants » sur un chantier, parce que la problématique que l’on a, c’est que nous en tant que professionnels on connaît le métier, on connaît la technique, et donc on doit partager l’information de la manière la plus logique possible, la plus ouverte, de manière à ce que tout le monde soit dans le même état d’esprit, qu’il n’y ait pas une espèce de lien de défiance qui existe parfois entre ce qui est dit et la réalité de ce qui est vécu sur les chantiers.
YO : Avant de rentrer davantage dans le détail des enjeux digitaux, d’après vous, est-ce que le bâtiment est aujourd’hui un secteur qui se sent concerné par ce sujet, ou pas ? J’ai vu qu’il y avait récemment un Monsieur Bâtiment Numérique qui a été nommé par le gouvernement (Bertrand Delcambre). Globalement, où en est le secteur ?
MB : Je pense que comme dans tous les secteurs, il y a une partie qui est concernée, et une partie qui se sent moins concernée mais qui va l’être mécaniquement. Dans tous les secteurs d’activité qui ont eu cette transformation digitale, il y a eu plusieurs périodes. Première période, ce sont un peu les personnes qui sont en amont de tout ça, les geeks qui aiment bien faire marcher l’imprimante 3D (on en a une d’ailleurs dans notre laboratoire de R&D), faire des expérimentations et autres. Ensuite il y a une phase où on comprend que ça devient rentable de faire ça ; mais c’est un accès aux grandes et moyennes entreprises qui ont les moyens d’investir dans ces outils-là. Et enfin, il y a une étape de généralisation qui se fait en général soit sous l’impulsion des pouvoirs publics par le biais des crédits d’impôt ou autres, ou par une prise de conscience du secteur qui fait que demain ça ne marchera pas si on n’arrive pas à passer ce cap-là.
Donc très concrètement, on en est à la phase intermédiaire aujourd’hui, on n’a plus 3 geeks qui créent dans un garage ce que sera demain le bâtiment numérique, on a de plus en plus d’entreprises, des grosses et des moyennes, parce qu’on a le temps et l’argent pour investir dans ces outils-là et faire en sorte de les offrir et de les ouvrir au plus grand nombre demain, et Bertrand Delcambre, avec qui on est en contact fréquent, a cette mission-là au sein du gouvernement, de rendre accessible au plus grand nombre, TPE, PME, PMI et grosses entreprises, l’ensemble de cette transformation numérique.
YO : Quels sont les enjeux majeurs du secteur aujourd’hui ? Le digital permet-il de répondre à ces enjeux, ou n’apporte-t-il que des réponses mineures ?
MB : C’est une très bonne question. L’enjeu majeur, c’est d’arrêter la baisse des prix. Comment on fait pour arrêter la baisse des prix et comment le digital nous permet de le faire ? Il permet d’apporter un service supplémentaire. Aujourd’hui, si on n’est pas capable de vendre de la peinture plus que de la peinture, on la vendra de moins en moins cher. Si on vend un chantier comme un service donné à un client, packagé dans sa globalité, avec une garantie de prix, une garantie de délai, une garantie de transparence, une garantie de coûts maîtrisés, d’accès à l’information, là on vient apporter de la valeur ajoutée sur de la peinture. On vend plus que de la peinture, on vend un projet. Et ce projet là en fait, il permet d’avoir des outils de gestion de projet, comme ça arrive dans plein d’autres secteurs d’activité. On pense aux SSII, où ce n’est que de la gestion de projet, et de la gestion d’hommes ; il y a beaucoup de similitudes entre nos métiers parce qu’on utilise des hommes pour gérer un projet. Le bâtiment, c’est exactement ça. C’est un projet, il y a des hommes qui vont amener ce projet-là, coordonner corps d’état par corps d’état, on commence par les fondations, et on finit par la peinture, le nettoyage et autres. Donc il y a beaucoup de similitudes, et on remarque aujourd’hui que ce qui tire les prix vers le bas, au-delà de la concurrence qui est importante, c’est parce qu’on n’est pas capable en tant qu’industrie d’apporter autre chose que simplement de la peinture et de l’enchaînement avec des tâches de plus en plus complexes ou de moins en moins complexes en fonction des chantiers.
Et donc le bâtiment numérique permet justement de dire à nos clients : « maintenant on va vous apporter plus que juste des travaux, on va vous apporter une gestion de chantier, on va vous apporter de la transparence, on va vous permettre d’avoir plus de gestion de chantier avec le même nombre de personnes chez vous ». Ce qui se passe chez nos clients, c’est qu’ils ont de moins en moins de compétences pour gérer de plus en plus de dossiers. Donc si à un moment la technologie et la technique ne viennent pas un peu au secours de leur semaine, ils ne s’en sortiront pas. Les entreprises qui arriveront à leur donner un meilleur accès à l’information, une meilleure transparence, une meilleure sécurité du prix et du délai, de la qualité, seront celles qui porteront l’avenir. Et nous notre pari est que ce service a un coût, et ce coût est prêt à être absorbé, dans la limite du raisonnable (on l’estime entre 5% et 10% du prix) ; surtout il permet un deuxième point très clé, c’est l’effet d’accoutumance, l’effet de cliquet : c’est-à-dire quand vous avez touché, goûté à la gestion numérique d’un chantier, c’est très difficile de repartir ensuite sur une gestion classique de chantier.
YO : C’est une nouvelle conception de l’addiction ! 🙂
MB : Exactement. C’est une conception importante de l’addiction, qui en plus est rentable et permet de rendre service au client, qui pourra mieux gérer ses chantiers et ses dossiers, et nous permettre à nous d’avoir une marge complémentaire pour investir dans ces outils-là et faire en sorte que ce soit la norme. En tout cas si on ne se réforme pas en termes de transition numérique, on n’arrivera pas à enrayer la baisse des prix, et c’est l’enjeu clair de notre métier.
YO : Si on considère le « digital » selon 3 grands angles d’approche, lesquels s’appliquent au BTP ? Pouvez-vous illustrer avec des exemples ?
- Digital as a business = digital comme une nouvelle source de revenus, une activité qu’on vend
- Digital as support to the business = outils / moyens / usages digitaux qui permettent de contribuer au développement de l’activité
- Digital as a culture = manière de travailler, de fonctionner, de manager, inspirée des pure players et acteurs du numérique
MB : Le digital « as a business », non, ce n’est pas notre métier, on n’arrivera jamais à vendre un logiciel. Notre ERP est en open-source, l’idée est de le mettre à disposition et pas de le vendre en tant que tel.
Par contre le digital « as a support », oui, clairement. C’est évident que ça nous permet de travailler mieux, plus rapidement, plus sereinement, plus qualitativement, ça il n’y a aucun doute là-dessus.
Ensuite, le digital « as a culture », oui aussi, vous allez vous balader dans le siège, oui objectivement, le digital permet d’attirer des talents, permet d’avoir du collaboratif, permet d’avoir de meilleurs échanges, permet d’avoir une culture beaucoup plus globale sur nos métiers et sur nos chantiers.
Donc oui, les deux derniers effectivement, la première ce n’est pas forcément nous, il y a plein de gens aujourd’hui qui développent, comme FinalCAD, et qui sont nos partenaires pour des logiciels de gestion de chantier, et de levée de réserves et autres, eux c’est leur métier en tant que tel, ça se développe beaucoup, mais nous en tant que réalisateurs, on est plutôt dans les deux dernières parties.
Et la culture est très importante, on a une culture très participative, très moderne, où on fait beaucoup de place à la personne, et on se rend compte que le bureau s’invite à la maison, nous notre logique c’est que la maison s’invite aussi au bureau, qu’on ait une logique culturelle assez ouverte, dans l’échange, autour de pas mal de festivités, de pas mal de moments de vie dans l’entreprise, pour faire en sorte d’avoir ces équilibres-là. On sait que le smartphone est le meilleur moyen de ramener le travail à la maison, on voudrait aussi que quand on est au travail, on n’ait pas que la logique travail mais qu’on ait aussi les gosses qui viennent pendant les vacances, des anniversaires l’été, des soirées qui se passent ici etc., et c’est plutôt tout l’enjeu de la direction de la communication, Hélène Miens, dans cette société, qu’on soit dans une logique de partage.
YO : Est-ce que pour vous les deux sont liés pour réussir ? C’est-à-dire d’innover dans le digital en termes d’outils et de manière de travailler, mais également en termes de culture d’entreprise ? Où est-ce qu’on peut avoir l’un sans l’autre, et c’est votre choix à vous de manager, de le faire comme ça dans votre société ?
MB : Je pense que quand on construit un pont, on le construit jusqu’au bout. On peut faire l’un sans l’autre, mais ça a moins de sens. Si on avait le discours de la modernité, de l’organisation, nouvelles de chantier, de logiciels et autres, et que dans nos propres bureaux, ça sent la naphtaline, j’ai envie de dire on n’est pas confort avec cette idée-là. Il faut être moteur, il faut être l’exemple, et justement l’un des gros enjeux du futur, c’est d’attirer les talents, et pour cela il faut rendre notre métier sexy, moderne, montrer qu’il y a de l’évolution, de la place pour la collaboration et pas que de l’exécution.
On se rend compte aujourd’hui que la France forme beaucoup de talents, dans nos métiers, malheureusement ces métiers ne sont pas prisés, en discutant avec des élèves ingénieurs on se rend compte que peu de gens ont choisi ces métiers-là mais que c’est le jeu des concours qui a fait qu’ils sont ici. Après ils prennent beaucoup de plaisir, mais ce ne sont pas des choix naturels. Je ne vous parle pas des métiers d’exécution purs, où c’est un peu une voie de garage malheureusement pour beaucoup de jeunes adultes qui se retrouvent dans des secteurs techniques alors qu’ils ne l’ont pas forcément choisi. Et nous, la logique est de dire : quand on vient travailler dans une entreprise de bâtiment, dans les années qui viennent, on viendra travailler sur des tablettes, sur des imprimantes 3D, avec des outils numériques, et non pas à l’ancienne comme on pouvait le faire il y a 30 ans où on se casse le dos pour 25 ans de sa vie avec des problématiques de santé pour le reste. Non. Le bâtiment a beaucoup évolué sur ces problématiques de pénibilité, et il faut justement faire un zoom là-dessus pour attirer des nouveaux talents dans nos métiers.
YO : Comment le BTP adresse-t-il les grands sujets d’actualité dans le digital ? A commencer par le mobile / la mobilité ?
MB : Moi j’ai fait une formation sur la manière dont je gère ma boîte avec mon smartphone. Je n’ai pas d’ordinateur portable, je gère toute ma société sur un téléphone portable. C’est sûr que ça change un peu la logique de travail, mais j’ai fait une formation à tous mes cadres, et à tous ceux qui voulaient, en leur disant « voilà comment je fais moi, pour travailler à la gestion d’une société sur un téléphone portable ». Donc oui, en termes de mobilité, complètement, il y a de vrais exemples : la gestion des mails, la gestion des notes, la gestion des drapeaux, la gestion des applications qui existent aujourd’hui qui font que nos actions sont de plus en plus ciblées et précises, on oublie de moins en moins de choses si on est bien organisé, tout ça nous on le met en place, et on forme.
YO : Cloud computing ?
MB : Le cloud c’est très important, on a quasiment tous nos logiciels qui sont disponibles en cloud, et qui sont accessibles n’importe où. On équipe tous les collaborateurs de tablettes tactiles et autres, et ça leur permet d’avoir accès où qu’ils soient à l’ensemble des données, que ce soit sur un chantier ou le soir, le matin, de plus en plus, le travail s’invite à la maison, mais la maison s’invite aussi au travail, on a des contraintes personnelles, on a des gosses à l’école, on doit aller les chercher, on a des contraintes de santé ou familiales. On n’est pas, nous, dans la comptabilité de ce genre de choses-là, mais on est dans la gestion du temps de manière globale.
YO : Le taux d’équipement de smartphones ou de tablettes dans la profession est-il important ?
MB : Alors les smartphones, oui, tout le monde est quasiment sur un smartphone, on voit nous sous-traitants, nos collègues, nos confrères, 80% sont équipés de smartphones, ça doit être logique par rapport à ce qui se passe en France. Après, les tablettes et autres, c’est autre chose. Les tablettes ça coûte entre 800€ et 1000€ pièce, c’est fragile, ce n’est pas forcément fait pour les chantiers, les logiciels qui sont efficaces sur ces tablettes-là coûtent encore cher, là c’est encore très ponctuel et très peu répandu, mais il n’y a pas de doute que le sens de l’histoire s’écrit dans ce sens-là.
YO : Si je vous dis Big Data ?
MB : Aujourd’hui, il n’y a pas encore d’applications de Big Data spécifiques au bâtiment. Il y en a de plus en plus sur la gestion de fin de chantier : quand vous avez des levées de réserves aujourd’hui, vous avez des milliers de réserves parfois sur des chantiers, et ça permet en traitant ces data-là, de savoir quelles sont les entreprises qui sont réactives / pas réactives, quelles sont celles qui ont toujours les mêmes problèmes, et c’est dans l’analyse de ces chiffres très importants et multiples sur des chantiers qu’on arrive à sélectionner les meilleurs partenaires, les meilleurs fournisseurs, ceux qui ne sont jamais en retard, ceux qui ont toujours les mêmes types de retards et donc les former par rapport à ce qu’on arrive à déceler. Le Big Data sert dans cette partie-là aujourd’hui. Ca pourra servir demain aussi sur la culture client, sur la logique de travaux supplémentaires, on se rend compte qu’il y a des clients chez lesquels constamment il y a des travaux complémentaires à effectuer ; donc on peut l’intégrer dans le prix des offres de départ pour avoir des offres commerciales plus agressives. Avec d’autres clients, ce n’est pas vraiment du Big Data mais des offres commerciales aujourd’hui, on se rend compte qu’on chiffre 10 opérations avant d’en avoir une. En termes de rentabilité ce n’est peut-être pas là où il faut se concentrer, etc. C’est ce genre de choses-là que demain il faudra faire. Et dans l’ ERP qu’on développe, on développe toute une partie de Business Intelligence sur lequel on a tous ce traitements de données qui est impacté, que ce soit sur les accidents de travail, sur les retards de chantier, sur la sécurité, sur la qualité, sur tout ce genre de choses-là ; on intègre ces données pour leur trouver de bonnes actions
YO : Objets connectés ?
MB : Oui. On a 2 objets connectés en cours de développement dans notre Lab. On les développe nous-même, encore une fois il n’y a pas de but mercantile derrière, on les donnera à d’autres sociétés à commercialiser ce n’est pas à nous de le faire.
Le premier est un testeur d’humidité connecté : vous avez eu un dégât des eaux un jour chez vous, dans votre vie ? Comme à peu près 80% de la population ! Et vous vous êtes rendue compte qu’il fallait, quand un mur est mouillé, qu’on vous envoie quelqu’un, avec une machine pour voir le taux d’humidité. On a créé une espèce de boîtier qu’on vient « plugger » à l’endroit où le dégât des eaux s’est produit, et qui vient directement se connecter à notre Box à la maison, pour pouvoir monitorer ou pour vous, ou pour le peintre qui va passer, le taux d’humidité de votre mur, ce qui permet de déclencher l’intervention d’un peintre dans le meilleur délai, et non pas de faire venir quelqu’un chez vous tous les mois pour tester votre mur. Ca permet aussi de monitorer le fait que la fuite n’est pas réparée, ça vous vous en rendez compte 6/8 mois plus tard, alors que là on pourra s’en rendre compte très rapidement car le taux d’humidité ne baisse pas, il y a plein d’applications là-dessus qui feront gagner et de la qualité et du service, ça on le développe, on est en phase de test aujourd’hui.
Le deuxième objet, c’est une électro-vanne d’arrêt connectée. Grosso modo, chez vous vous avez une vanne d’arrêt d’eau, comme tout le monde, quand vous partez en vacances ou quand vous êtes en week-end ou au bureau vous ne la fermez pas avant de partir. Nous cette vanne on l’a rendue intelligente, elle est capable de capter s’il y a une fuite sur un réseau ou pas, et d’identifier quel type de fuite c’est. En fait, quand vous avez une fuite dans une cuvette de WC ça n’a pas le même signal que quand vous avez une fuite sur une baignoire ou sur un robinet encastré. Et donc, toujours à travers un applicatif smartphone, ça permet de vous envoyer des alertes sur votre smartphone en vous disant « attention, il y a un risque de fuite chez vous localisé à tel endroit, est-ce que vous souhaitez ou non couper votre vanne à distance ? ». Comme elle est reliée au wifi et qu’elle est autonome en énergie, ça vous permet de couper directement votre vanne où que vous soyez dans le monde ; ça vous évite de revenir de vacances avec 3 cm d’eau dans le salon.
YO : Vous n’allez pas vous faire des amis chez les assureurs !
MB : On ne sait pas, parce que quelque part ça réduit aussi leur facture ! Mais c’est sûr qu’il y aura moins de raisons d’indemniser un gros dégât des eaux ou des choses comme ça.
YO : Est-ce qu’il existe déjà, sur le marché, des objets connectés appliqués au bâtiment, ou tout ça est en émergence ?
MB : Objectivement, tout ça est en émergence.
YO : Impression 3D ? C’est un grand sujet ?
MB : Oui, on y est aussi, en fait ce sont les 3 métiers qu’on travaille au Lab : les logiciels, les objets connectés, les imprimantes 3D. Sur les imprimantes 3D, on est aujourd’hui dans les expérimentations, objectivement, on en est vraiment tout au début. On a pris le métier de la plomberie, dans la plomberie il y a beaucoup de pièces en PVC, qui est le même PVC que ce qu’il y a aujourd’hui dans les imprimantes 3D, c’est la même nature de PVC.
Et donc l’idée est de pouvoir scanner l’ensemble des pièces en PVC disponibles dans les métiers de la plomberie, et que sur les chantiers demain, chaque imprimante soit une usine déportée et qu’on puisse imprimer les pièces dont on a besoin à la demande, et non pas qu’on aille les chercher à gauche et à droite dans tous les environnements imaginables. Donc ça permet de gagner du temps, de l’efficacité, d’avoir la pièce exacte qu’il vous faut et non pas celle du commerce qu’il ne faut pas exactement à chaque fois, c’est un gain de temps, de réactivité et de spécificité.
YO : Et pour vous, c’est opérationnel à quelle échéance ?
MB : Objectivement, entre 5 et 10 ans, à l’échelle du secteur. Le vrai frein à ça, c’est 2 choses : un, c’est la technique de l’imprimante, qui aujourd’hui coûte cher et est longue, pour faire simple, mais ça c’est la base de la technologie, c’est valable dans tous les secteurs d’activité. Et deuxièmement, c’est la partie assurancielle, où pour le coup, quand vous créez une pièce, elle n’est pas assurée. C’est-à-dire que nous on a une garantie décennale, cette garantie décennale, quand vous créez des pièces qui sont faites sur une imprimante, il n’y a pas de label, il n’y a pas de norme. Donc là on travaille avec le CSTB, qui va permettre de valider la création de ces pièces-là, comme des pièces à résistance de matériau technique, donc ils font des essais avec nous, pour faire en sorte que les pièces qui sortent de certaines machines, selon certains fichiers de réalisation de pièces, soient conformes aux normes assurancielles. Tout ça est technique, ce n’est pas juste de l’imprimante 3D, il y a tout un environnement à comprendre.
YO : Oui mais c’est ça qui est intéressant à comprendre. C’est vrai que souvent on va s’enthousiasmer pour des mots qu’on voit comme ça, mais après quand on ne connaît pas la technicité d’un secteur, on ne comprend pas forcément tous les enjeux et bouleversements, ou pourquoi ça prend du temps à se mettre en place…
MB : Le problème c’est que demain si vous réparez une fuite avec un objet qui est fait en imprimante 3D, et qu’il y a une fuite qui réapparaît au même endroit, qui est responsable ? Est-ce la pièce, est-ce le poseur, est-ce l’industriel ? Il n’y a plus d’industriel, donc d’où vient le problème ? Chaque pièce dans nos métiers est testée en usine avec des labels donnés par le CSTB. Donc la logique est de travailler avec lui pour qu’il puisse agréer les pièces qui sont sorties d’une certaine machine, avec un certain code qui a été traité en amont pour réaliser cette pièce-là.
YO : De quels autres secteurs le bâtiment vous semble-t-il le plus proche en termes d’enjeux, de fonctionnement, d’écosystème, d’organisation ? Ces autres secteurs sont-ils source d’inspiration en matière de transformation digitale, ou pas ?
MB : Je dirai qu’il y a 2 secteurs. Un, les SSII, parce qu’on gère des projets avec des hommes. Donc en fait la gestion de projets est très proche. Et deuxième l’aéronautique, parce qu’il y a une technicité derrière. C’est-à-dire que la SSII en tant que telle, c’est la gestion des hommes, et l’aéronautique, c’est comment on vient rajouter une couche technique, parce qu’on réalise beaucoup de pièces en aéronautique en imprimante 3D, sur des logiciels de réalité augmentée et autre, et je pense que ces deux secteurs-là ont pris beaucoup d’avance, doivent inspirer le bâtiment pour que demain il soit numérique et qu’il soit en avance sur son temps, ce qui permettra d’éviter justement qu’on ait une guerre des prix et une guerre à la non-qualité et au moins-disant.
YO : Les projets que vous avez initiés chez vous sont-ils venus justement d’observations d’autres secteurs ou est-ce que c’est plutôt venu de la volonté de régler vos problèmes ?
MB : Les deux. Parce que c’est beaucoup de pragmatisme, qu’est-ce qui se passe sur nos chantiers et comment on peut le régler, quels sont les problèmes de nos clients et comment on pourrait y répondre, et ensuite c’est qu’est-ce qui se passe ailleurs, et vu que ça n’existe pas il faut qu’on l’invente, et pour s’inventer il y a deux manières de faire : ou la roue, on l’invente nous, ou on va regarder aussi ce qui se passe ailleurs et on essaie d’adapter leurs process à nos métiers. Donc c’est les deux, en réalité. Il faut toujours rapprocher et « merger » pour faire en sorte que ce soit un succès, sinon ça peut prendre des années et des années sur des mauvaises routes, alors qu’en fait il y en a qui ont ouvert les choses de manière très efficace.
YO : Et cet « ailleurs » en matière d’inspiration, en matière de pays : Y’a-t-il des pays plus avancés en matière de bâtiment numérique, lesquels, pourquoi, comment ?
MB : On a tendance à dire que les Etats-Unis et l’Angleterre sont en avance, c’est un peu une tarte à la crème, ils sont en avance de manière générale. Pourquoi ? Non pas parce qu’ils sont plus malins et autres, tout simplement parce qu’ils ont un système législatif qui est beaucoup plus rapide à l’exécution. Comme ils sont rapides à l’exécution, par exemple le bâtiment numérique, le BIM, à partir du 1er janvier 2017 est obligatoire en Angleterre. Ca veut dire que tous les nouveaux projets sont faits en BIM. Nous on va mettre encore 5 ans ou 7 ans à le faire. C’est pour un problème légal en tant que tel. Si on légiférait en disant « voilà demain, on aura une obligation du BIM en 2019, en 2020 peu importe », toute la filière suivrait. Et aujourd’hui c’est ce que font bien les Anglo-Saxons, ils poussent la demande très très rapide, ce qui demande à l’industrie de réagir très très vite. Il y a moins de barrières à l’entrée, il y a moins de barrières à la transformation aussi.
Tout ça est sur la bonne voie, on s’en inspire beaucoup, Bertrand Delcambre s’inspire beaucoup de ce qui se passe dans les autres pays, consulte énormément, il y a plein d’initiatives qui sont faites, moi je ne crois pas à l’Etat qui est capable de porter ce genre d’énorme projet, je pense que c’est le marché privé qui doit le faire, l’Etat n’a plus les moyens aussi de subventionner en termes d’aides publiques ou de dégrèvements d’impôts ou autres.
Nous on pense qu’il faut inventer de nouvelles choses, et typiquement on porte une proposition sur le bâtiment où on est en train de rédiger une proposition de loi, qui dit grosso modo que dans un appel d’offre public, vous avez 2 critères au niveau de la décision finale d’adjudication d’un appel d’offre : un critère de prix, et un critère technique. Et dans ce critère technique, il y a plein de notations et de sous-ensembles. Typiquement, vous avez la qualité, la sécurité, l’environnement, la partie organisation du chantier… et nous on voudrait rajouter un critère, qui est sur l’utilisation des outils numériques. Et de se dire qu’en fin de compte, si on arrive à mettre en avant et à demander aux acteurs « quels sont les outils numériques qu’ils mettent en avant dans leurs chantiers », et qui est une preuve et une manière d’avoir des appels d’offre supplémentaires, ça tirera toute la profession vers le haut, ce ne sera pas un coût, ce sera vu comme une opportunité commerciale donc un investissement à faire. Et donc c’est notre vision de le faire et ça ne coûte pas un rond à la collectivité, c’est plus simple à mettre en place. Donc on la porte, et bientôt on portera ça au gouvernement pour leur demander de légiférer à cet endroit.
YO : Et pour terminer sur une note plus personnelle : qu’est-ce qui vous frustre le plus aujourd’hui dans la pratique de votre métier ? Et comment aimeriez-vous résoudre cela ?
MB : Alors moi j’ai une frustration récurrente, c’est la course au temps. Moi je trouve que tout prend trop de temps. J’ai une petite expression rigolote au bureau, quand je dis qu’il y a le temps, je dis « n’aie pas peur, tu peux le faire demain, y’a pas d’urgence ». Donc je suis toujours dans une logique très rapide d’exécution, et c’est vrai qu’on a sous-estimé, je dis « on » mais moi en premier, j’ai sous-estimé l’impact temps que ça représente de créer une transformation numérique. Si ça ne tenait qu’à moi, ça irait très très vite, mais malheureusement c’est plus long que ça, il y a beaucoup de barrières à l’entrée, il y a beaucoup de choses à mettre en place, beaucoup de discussions, de communication, d’outils qui ne sont pas encore opérationnels, donc oui ma frustration est sur le temps d’exécution, où j’adorerai que ça se fasse du jour au lendemain.
YO : Donc il n’y a pas de solution ?
MB : Il faut prendre son mal en patience, et il faut essayer de ne pas répéter les mêmes erreurs, et surtout que nous on prenne du temps pour faire en sorte que plus tard les autres en mettent beaucoup moins. Donc si on doit essuyer un peu les plâtres là-dessus et être moteur, on le fait, avec grand plaisir, pour le secteur.
YO : Avez-vous envie de rajouter quelque chose ?
MB : Non… De manière générale, je pense qu’il faut être très positif sur notre métier, c’est un métier à la convergence de la nature humaine, de la technicité, de la confiance, de l’esthétique aussi, il y a beaucoup de choses à réinventer, moi je suis très enthousiaste sur ce secteur parce qu’on n’a encore quasiment rien fait, donc il y a encore plein plein de choses à mettre en place, il faut pouvoir être positif là-dessus, il faut pouvoir donner de l’espoir et de l’engagement, que ce soit pour les générations futures qui s’impliquent dans nos métiers, ou pour les entrepreneurs aujourd’hui qui se disent que la crise est un peu longue et ça c’est une réalité, que demain ce sera encore meilleur et il faut adresser un message positif sur tout ça, parce que ça l’est, assurément.
YO : Michaël Bertini, merci beaucoup !
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