Le Liban est un tout nouveau venu sur la scène high-tech internationale : son premier fonds d’investissement y a vu le jour en 2008, et les success stories entrepreneuriales s’y comptent encore sur les doigts de la main.
Pourtant, l’ancienne Suisse du Moyen-Orient, frontalière de la Silicon Wadi israélienne, ne manque pas d’atouts pour émerger à l’échelle régionale des pays arabes, voire internationale. Quels sont-ils, et quel intérêt présentent-ils également pour les entrepreneurs et investisseurs étrangers ?
Dans cet entretien, nous rencontrons Hervé Cuviliez, entrepreneur français fondateur du groupe de médias Diwanee, et associé du fonds d’investissement Leap Ventures. Diwanee est une des 3 plus importantes « sorties » régionales à ce jour, rachetée en majorité par le groupe français Webedia.
Transcription complète de l’interview:
Youmna Ovazza: Bonjour, je suis aujourd’hui à Beyrouth, au Liban, avec Hervé Cuviliez, président de Diwanee et associé-fondateur du fonds d’investissement Leap Ventures, qui est serial entrepreneur du web par ailleurs pour tous les Français – et autres – qui le connaissent, et nous allons parler ensemble d’innovation digitale au Liban.
Hervé bonjour, merci beaucoup de m’accorder cette interview.
Hervé Cuviliez: C’est un plaisir.
YO: Une toute petite introduction, avant de commencer à discuter; en fait, ta perspective sur l’émergence d’une scène high tech au Liban m’intéresse beaucoup, car tu es un serial entrepreneur, et aujourd’hui aussi un investisseur, donc tu as un double regard sur ce qui se passe, tu as créé une agence digitale en France dès 1996, qui avait rejoint le giron du groupe DDB dont tu avais ensuite dirigé toutes les activités digitales, je ne me trompe pas?
HC: C’est ça.
YO: Tu as créé au Liban, avec ton épouse libanaise, en 2009, le groupe de médias et d’e-commerce Diwanee, qui a été revendu au groupe français Webedia en 2014 mais que tu continues à diriger et présider. Et tu es aujourd’hui un des quatre associés fondateurs de Leap Ventures, un fonds d’investissement qui ambitionne d’être actif dans toute la région.
YO: Donc du coup, là je vais te laisser la parole quand même, pour nous présenter un peu en détail tes 2 expériences récentes au Moyen-Orient, Diwanee puis Leap Ventures, pour donner un peu le détail de comment ça s’est passé, le pourquoi du comment, ce qui va certainement éclairer le reste de la discussion?
HC: OK. Donc déjà, pour expliquer le Liban, il faut expliquer que le Liban a été choisi parce qu’on a choisi le Moyen-Orient. Ca s’est passé en 2007, j’avais été faire une conférence pour DDB à Dubai, fin d’année, et j’étais tombé sur une région où il y avait des données intéressantes, et je trouvais qu’il y avait un « disconnect » entre ces données qui pouvait faire qu’il y avait un marché qui était intéressant.
Les données c’était quoi: le Moyen-Orient, ce n’est pas que les nouvelles qu’on voit aujourd’hui, c’est à peu près 300 millions de personnes (selon la définition du Moyen-Orient), c’est une population qui a 50% de sa population qui a moins de 20 ans, très connectée, et à l’époque, ce qui était intéressant, c’était de voir qu’il y avait déjà plus de consommation digitale que de consommation média TV, en temps passé, mais le chiffre qui tournait à l’époque, c’est 5% des internautes étaient arabes, mais seulement 0,5% du contenu était en arabe. Il y avait un temps passé plus fort sur les médias digitaux, mais moins de 1% était investi en publicité digitale. Et il y avait toute une série de chiffres comme ça, la pénétration du mobile, l’avancée de la 3G, à l’époque, etc.
Et quand je suis rentré, j’ai dit à ma femme – j’étais chez DDB, je dirigeais les activités digitales, elle était chez Condé Nast, elle s’occupait du digital – « on devrait regarder, il y a un truc dans cette région; ça me rappelle les débuts de ce qu’on avait en Europe. »
Et puis le projet a mûri, on a quitté des jobs confortables pour venir se lancer, et là le Liban a été choisi, parce qu’on savait d’entrée que c’était un business qui allait être régional, et le Liban, quand on connaît, a pas mal de caractéristiques très intéressantes: que ce soit les coûts, les talents, surtout quand on est dans le contenu, dans la région; c’est l’un des seuls Internets qui n’est pas censuré, si ce n’est le seul Internet qui n’est pas censuré dans toute la région, donc il y avait pas mal de choses. Il y avait aussi pas mal de problèmes, mais la somme faisait que c’était plus intéressant. Et donc, on avait envie de commencer là.
On a commencé à créer Diwanee au Liban, avec immédiatement une dimension régionale. Très vite on a créé un bureau à Dubai, mais le bureau de Dubai était très affecté aux relations commerciales, alors que toute la production et le développement de ce qu’on faisait était basé à Beyrouth. Au fil du temps, on a ouvert aussi un bureau à Belgrade pour le développement, on s’est étendu, mais Beyrouth est toujours resté le coeur, et reste le coeur.
YO: En termes d’audience aussi, ou pas forcément?
HC: Non non non. Le marché principal du Moyen-Orient est l’Arabie Saoudite. Deuxièmement, les marchés du Golfe. Après, on a un reach important sur l’Afrique du Nord et l’Egypte. Le marché libanais n’est pas un marché en tant que tel. C’est un marché intéressant pour opérer, mais ce n’est pas un marché commercial.
YO: Et question bête, mais pourquoi ne pas le faire à partir de Paris, par exemple, du coup?
HC: Déjà pour aller à Dubai, moi je vais à Dubai toutes les semaines, j’y suis allé hier dans la journée, 3 heures de vol, c’est quand même mieux que 7. On a 80 personnes à Beyrouth qui parlent et écrivent l’arabe toute la journée.
Et puis après on parle de 300 millions de personnes qui parlent l’arabe, l’arabe marocain n’est pas l’arabe égyptien qui n’est pas l’arabe libanais qui n’est pas l’arabe saoudien; dans les expressions, la façon d’écrire, etc. Ici, on trouve des gens qui ont l’habitude d’écrire, principalement aussi pour le marché saoudien. Beaucoup de magazines étaient faits au Liban. Nous on était sur la presse féminine, la capacité à faire des shootings de mode en Arabie Saoudite est assez limitée on va dire. Et donc, le Liban était bien pour ça. Donc voilà, on a démarré Diwanee à partir de ça, en se disant que c’était le meilleur endroit pour créer la base de Diwanee.
YO: Et ça a été le cas! Juste quelques éléments sur ce qui s’est passé ensuite?
HC: Alors, voilà, en 5 ans, on a fait une compagnie qui a 150 employés, il y a toujours 60% du staff qui est basé au Liban; qu’on a revendue à Webedia, qui était une des trois plus grandes « exits » au Moyen-Orient, la première au Liban, qui a été suivie de près par une deuxième, faite par une autre compagnie dans le contenu aussi, plus petite, mais c’était intéressant aussi. Et donc voilà, c’était une très bonne expérience.
Quand les gens me demandent pourquoi, je pense que c’est aussi le fait d’un entrepreneur d’aller prendre une quantité de risques là où les autres ne le sentent pas, mais d’y voir aussi une opportunité. Et il y avait une vraie opportunité, on ne s’est pas trompé! Aujourd’hui, le « moins de 1% » digital est passé à peu près à 10%, il va passer à 15/16% dans les prochaines années. Vous prenez YouTube, le deuxième pays au monde pour YouTube est l’Arabie Saoudite; le premier pays au monde par habitant, c’est l’Arabie Saoudite, pour YouTube. On compare, je vois les chiffres avec Webedia: 80% au-travers de tous nos sites, c’est de l’audience mobile; sur la mode et beauté, c’est 92%. Donc on est dans une région où on ne regarde plus les sites desktop, ils n’existent plus!
Donc on a aussi pas mal de choses qui sont intéressantes, il se passe des choses, ce qu’on avait anticipé de cette jeunesse qui allait se jeter sur les médias digitaux est vraiment en train de se passer, et c’est là qu’on voit une différence de démographie, vous avez une population dans la région qui est très jeune. Alors que nous (en Europe), on a des populations plutôt vieillissantes. Aujourd’hui, on a 70% de la population qui a moins de 30 ans.
YO: Et pourquoi du coup revendre « aussi rapidement », et devenir investisseur?
HC: Déjà, je ne considère pas ça comme une revente, mais comme une association. On était arrivé à un point où le métier de contenu est un métier technologique aussi, très technologique même; la distribution de contenus sur les plateformes est au moins aussi importante que le contenu lui-même. Et là, sur une région, ce n’est pas propre au Moyen-Orient, être capable d’avoir une audience très large sur la région, et d’avoir les outils demain, avec le programmatique, les investissements dans les CMS (Content Management Systems) qu’on a, etc., ça devenait très lourd à une échelle de Diwanee.
On s’est extrêmement bien trouvé avec Webedia, avec une culture très proche d’entreprise. C’était très drôle, Cédric et Guillaume qui sont les fondateurs de Webedia, la première fois qu’ils sont venus chez nous, ils retrouvaient Webedia il y a 3 ans en arrière… Quand j’allais chez eux, on se sentait bien, donc ça n’a pas été considéré comme une vente, on s’associait pour pouvoir amener Diwanee sur une autre taille.
Aujourd’hui, on lance Diwanee sur les hommes, on est en train d’ouvrir d’autres marchés… Ca nous donne des moyens plus forts, et surtout ça nous aide à mutualiser des investissements technologiques qui, qu’ils soient faits sur une audience comme Diwanee qui est de 7 millions de visiteurs uniques, ou de 40 millions à l’échelle de Webedia, font exactement la même somme. Donc ça, c’est la première partie de la réponse, c’était de s’adosser à un groupe qui raisonnait comme nous, pour pouvoir aller encore plus loin et plus fort.
Après, pourquoi j’ai dit oui et je me suis aussi lancé dans l’investissement? Je pense que les deux se nourrissent, ça aide aussi à avoir une meilleure vue du marché, et puis surtout, Diwanee en termes d’investissement, a été fait de beaucoup de frustrations.
YO: Ca anticipe une de mes questions!
HC: Ben non, mais surtout sur l’écosystème! Imaginez, en 2008, quand un Français qui ni parle ni lit l’arabe lance un groupe de médias arabes, depuis le Liban qui n’est pas considéré comme un pays de start-ups, où il y a à peine de l’électricité et de l’Internet… On a passé 2 ans, avec ma femme, à entendre que ça ne marchera pas! Et que c’était impossible. Donc, voilà, on continue à l’entendre.
Moi je suis persuadé que le Liban est un très bon mix, et maintenant en plus, avec des initiatives comme la (circulaire) 331, qui est l’initiative de la Banque Centrale du Liban d’injecter 400 millions de dollars dans l’économie digitale etc., à l’échelle du Liban c’est énorme, il va se passer beaucoup de choses, et c’est une façon de, en anglais on dit « give back », de rendre, de m’intéresser, de m’impliquer plus dans l’écosystème, et d’aider d’autres entrepreneurs à réussir et à faire si possible beaucoup mieux que Diwanee, et donc voilà.
Donc c’est un choix aussi très personnel, basé sur des frustrations vécues à travers l’expérience Diwanee, et puis aussi intéressant pour Diwanee, parce qu’aujourd’hui on arrive à une taille où, si demain on doit recruter 40 personnes, on va avoir un vrai problème de ressources. Donc plus l’écosystème sera fort, plus on sera capable de grossir aussi. Donc tout ça se répondait très bien et voilà pourquoi.
YO: Alors du coup, la transition est faite: comment vous qualifierez aujourd’hui l’innovation digitale au Liban, ou la naissance d’une scène high-tech? Qu’est-ce qui se passe, et par rapport à ce qu’on peut connaître en Europe…?
HC: On est très au début de ce qui est en train de se passer. On commence à voir, des choses qu’on ne dit pas assez, puisque le Liban en 2014 est le pays du Moyen-Orient qui a fait le plus d’exits de start-ups en nombre et en volume d’exits. Il y a des start-ups qui sont intéressantes, ce sont des start-ups qui ont un esprit régional. Et là, avec l’initiative de la Banque Centrale…
C’est-à-dire qu’en gros, pour vous donner une comparaison de taille en France, c’est à multiplier à peu près par 10, l’argent disponible pour les investissements et les start-ups. Aujourd’hui, il y a 4 millions à peu près d’habitants au Liban, et il y a 400 millions de dollars. Vous faites le calcul, je ne suis pas sûr qu’il y a autant d’argent en France dans les startups.
YO: Mais combien de start-ups il y a? Est-ce qu’on a un moyen de savoir quels sont les chiffres clés, autour de ça, ou pas trop?
HC: On va définir start-up en taille mais… à moins de 50? On est très surpris par ce qu’on trouve aussi, des gens qui ne faisaient pas de bruit, des gens qui reviennent… Et puis encore une fois, la façon dont on voit notre rôle dans l’écosystème en tant qu’investisseurs, c’est un rôle d’entrepreneurs. Tous les fondateurs de ce fonds sont des entrepreneurs. Et donc, j’entends les mêmes critiques sur le fonds que j’entendais sur Diwanee: « Ah non tu ne vas pas nous faire une start-up au Liban, il n’y a rien! » Et maintenant c’est: « Ah non, tu ne vas pas faire un gros fonds au Liban, il n’y a rien pour investir! »
Ben oui, mais en même temps, il faut le construire, l’écosystème. Et donc tout le travail de l’entrepreneur, c’est de construire quelque chose qui n’existait pas, et de voir une opportunité, soit que les autres considèrent comme trop dangereuse, soit qu’ils ne voient même pas. Donc, aujourd’hui, ce qu’on sait, c’est que c’est un pays qui est géographiquement bien placé, c’est exactement la même distance entre Dubai et l’Europe – parce que Dubai n’est pas un marché non plus, Dubai dessert les autres marchés autour comme le Koweit, l’Arabie, même l’Egypte, un bout de l’Afrique etc. – aujourd’hui le Liban est très bien connecté sur l’Afrique, très bien connecté sur les pays du Golfe; un vol Dubai-Jeddah c’est 2h30, un vol Beyrouth-Jeddah c’est 2h15, un vol Téhéran c’est 2h… C’est exactement placé de la même façon, pour un reach régional, il n’y a pas de raison… Il y a du talent, c’est une population qui est éduquée, et c’est une population qui n’a pas peur de l’international dû à un petit marché intérieur.
Donc, il n’y a pas de raison… – il y a plein de raisons aussi, que ça ne marche pas – mais c’est faisable. C’est-à-dire qu’on voit un chemin pour dire que c’est faisable. Vous avez fait le tour de Beirut Digital District, c’est quelque chose qui n’existait pas il y a 5 ans et s’il y a 5 ans on avait dit « il y a quelqu’un qui va lancer un projet de 45 000 m2 de locaux dédiés aux start-ups dans Beyrouth », je pense que tout le monde aurait rigolé aussi. Donc voilà, tout ça est en train d’arriver en même temps, il y a des acteurs qui bougent ensemble…
YO: Combien d’incubateurs ou de fonds, par exemple?
HC: Alors, il y a 5 fonds à peu près, il y a 3/4 incubateurs, et c’est encore en train de se créer. Et surtout, on voit de plus en plus de projets; et l’autre chose qui est intéressante, on voit des projets de plus en plus ambitieux. Avant, c’était des gens qui essayaient de se dire « avec 200 / 300 000 $, je vais essayer de faire quelque chose ».
Là aujourd’hui, on commence à voir des projets très ambitieux, la spécificité du Moyen-Orient c’est que c’est une région, un peu comme l’Europe, entre l’Europe et les Etats-Unis: c’est une taille comparable, un peu plus petit, un GDP plus bas mais intéressant, et surtout ce qui est intéressant, il y a la difficulté de l’Europe sur les multi-pays, mais on n’a pas la difficulté de la langue; donc c’est un peu entre deux. Mais c’est des start-ups qui doivent se concevoir pour une quinzaine de pays, en gros, ça dépend comment on compte certains. Donc on voit ça en train de se passer, à différents endroits. Pour l’instant, on a des petits morceaux un peu partout. Mais ces petits morceaux se parlent, et essaient de faire de plus en plus de choses ensemble, donc, voilà, ça vient!
YO: Pour donner quelques exemples concrets de secteurs ou d’offres de services, par exemple, dans le portefeuille de Leap Ventures, quel type de start-ups il y a, qui font quoi?
HC: Alors là, on n’a pas communiqué cette année sur nos investissement.
YO: Ah! Donc si c’est secret, prenons quelqu’un d’autre! C’est pour avoir quelques exemples concrets…
HC: Il y a des sociétés très intéressantes dans l’énergie renouvelable.
YO: Qui font quoi, par exemple?
HC: Accumulation et restitution d’énergie, captation d’énergie solaire… Il faut voir qu’on peut toujours regarder un problème de 2 façons. Aujourd’hui, toutes les coupures d’électricité au Liban, font que beaucoup de gens se posent la question de comment créer d’autres sources d’énergie, comment rendre l’énergie plus fiable. Le Liban produit son énergie à 99,99% sur la consommation de fioul fossile, il y a des gens qui réfléchissent à ça. L’une des meilleurs compagnies au monde de « vertical gardens » et de « vertical farming » et de « green rooftops », elle est au Liban.
YO: Elle s’appelle comment?
HC: Elle s’appelle Green Studios. Et ils font des projets à Paris, à New York, en Arabie… Donc il y a plein de gens qui ne parlent pas beaucoup, qui font leurs choses dans leur coin, et puis aussi au Liban on a tendance à ne pas bien les connaître puisque 90% de ce qu’ils font se passe en dehors du Liban!
Je pense que Diwanee, avant la transaction Webedia, était une des start-ups les moins connues au Liban! Parce que son marché principal était l’Arabie, son centre commercial était Dubai, et c’est son centre opérationnel qui était le Liban mais qui ne faisait pas de bruit! Donc, aussi, il y a des gens qui commencent à lever le doigt, pour dire « moi je fais ça, moi je fais ci… », donc…
Vous prenez le Spotify de la région qui s’appelle Anghami, il est libanais.
En e-commerce, c’est un problème. Ce n’est pas encore un secteur, parce que les douanes n’ont pas bougé, il y a vraiment des limitations qui sont compliquées, on y travaille.
YO: Est-ce qu’il y a des secteurs ou des tendances qui sont aujourd’hui fortes dans le monde, qu’on ne voit pas du tout, par exemple? Ou est-ce qu’il y a des sujets préférentiels?
HC: Non, là j’ai vu 2 start-ups incroyables sur du 3D printing, aussi bien en hardware qu’en software. On voit vraiment tout ce qui est Saas… On a vu une société en mode Saas, dans l’industrie, qui a des clients en Amérique Latine, et on parle de Fortune 500! En Amérique Latine, à Singapour, en Europe… ils sont 80 personnes. On a vu une société dans le mobile, qui développe des produits pour le mobile, qui a un footprint qui va de l’Amérique Latine et l’Afrique jusqu’en Indonésie!
YO: C’est votre existence qui les amène à vous? C’est eux finalement qui sortent du bois, et qui se disent « tiens là il y a des acteurs qualifiés pour nous aider », et avant ils n’y pensaient pas? Qu’est-ce qui fait que du coup vous les rencontrez, ils ne rencontrent pas d’investisseurs anglais, américains…?
HC: Alors ils en rencontrent, ils sortent, etc. C’est juste que c’est quand même compliqué, pour une start-up libanaise… Faut voir le pitch: on est en train de taper à la porte, « bonjour je suis une start-up libanaise successful, est-ce que vous voulez me financer » et puis vous êtes à New York… Sauf si vous avez pris un expat’ libanais, votre connaissance du Liban est quand même très limitée, et si vous connaissez le Liban, vous le connaissez plus pour le Hezbollah ou pour les problèmes de la guerre d’il y a 40 ans que maintenant, donc c’est un pitch compliqué! Mais il y a des boîtes qui y arrivent. Dans l’Internet des objets, on commence à avoir des choses très intéressantes qui sortent… Il y a une société qui s’appelle Instabeat, qui permet de mesurer toute son activité aquatique, la natation, etc. C’est une société libanaise. Donc il y a des choses.
YO: Si vous deviez comparer votre portefeuille de start-ups à celui d’un fonds majeur en Europe ou aux Etats-Unis, sans trahir de secrets, quelles seraient les différences principales? Est-ce en terme d’activités, est-ce le profil des entrepreneurs, ce serait quoi?
HC: En termes de profils, c’est inévitablement différent, en tout cas c’est généralement des gens qui créent des sociétés pour la première fois. On n’a pas ce phénomène de seria entrepreneurs, ce qui fait que c’est plus compliqué, c’est des gens qui sont très bons mais qui n’ont pas l’expérience d’aller à travers tout le process de faire une start-up, de faire des levées de fonds, la vendre, continuer à travailler derrière, etc. Ca c’est certain, c’est naissant, ça va avec. Je trouve que, si je le compare avec ce que je connais en France, ce sont des gens qui sont mille fois plus internationaux, parce que, par contrainte. Ce sont des gens qui ne peuvent pas rester sur leur marché domestique.
Donc mécaniquement, dans l’ADN de la start-up, il y a une dimension internationale. Cette dimension internationale, elle est souvent régionale, et quelque fois mondiale. Mais leur terrain de jeu ne peut pas être le Liban, et ça ça crée quelque chose d’intéressant, parce que tout de suite c’est une société qui se crée pour se développer internationalement. Donc ça ça fait une vraie différence. Alors que, même sur des start-ups américaines que je connais moins mais je vois un peu quand même, ou des start-ups françaises, ils ont un marché qui est assez gros, et qui fait que l’internationalisation arrive beaucoup plus tard. Là, l’internationalisation arrive dès le premier jour; on n’a pas une start-up – on a UNE start-up qui ne s’intéresse pour l’instant qu’au marché libanais, qui est très spécifique, mais sinon, tout est basé minimum régionalement, ou internationalement.
YO: Et du coup, transition, quelles caractéristiques ont les entrepreneurs Libanais que vous financez ou côtoyez? Il y en a certaines qui ont été exprimées, mais est-ce qu’il y en a d’autres, en termes de profils, d’origines, de métiers d’origine, hommes/femmes, âges…?
HC: Juste pour préciser, Anghami ne fait pas partie du portefeuille Leap Ventures.
YO: Non, c’est pour cela que je dis « côtoyez », pas forcément les start-ups de votre portefeuille…
HC: Je pense que la vraie caractéristique, c’est ce côté international. Et ça se retrouve dans beaucoup de petits pays, c’est d’être obligé d’y aller tout de suite, parce qu’il n’y a pas de marché intérieur. Ca crée des gens qui n’ont pas peur de monter dans l’avion, qui se jettent sur de nouveaux marchés, qui essaient, qui se disent « tiens, est-ce que je peux développer là? »…
On trouve des cas très spéciaux! Rien à voir avec les start-ups, enfin c’est une sorte de start-up, il y a un mec ici qui est fondu de bière et qui a monté la bière 961 ici, et qui a découvert que c’était un petit marché et que ça a du mal à changer, et il s’est lancé et il est en train de cartonner en Australie!
Ce sont des gens qui n’ont pas peur de se dire « ça ne marche pas là, ou c’est dur là, je vais aller le faire là ». Maintenant les gens se sont habitués, j’ai quitté la France… quand on quitte la France pour les Etats-Unis ou pour aller à Londres, je pense qu’on a beaucoup moins de questions que quand on va habiter à Beyrouth.
YO: L’amour explique beaucoup de choses! 🙂
HC: En plus ce n’est pas vrai, puisque je revendique le fait d’avoir été beaucoup plus moteur que ma femme pour bouger ici, elle était très bien à Paris, elle a vécu toute sa vie à Paris, même si maintenant nous sommes très heureux tous les deux ici. Mais c’est vraiment ça la caractéristique principale, ce sont des gens qui sont assez ambitieux dans leur capacité à étendre leur start-up.
Ca c’est vraiment une caractéristique très spécifique des Libanais, après il suffit de voir, et puis la diaspora aide, mécaniquement, il y a tellement de Libanais partout, c’est facile aussi de créer des contacts, d’avoir un point de chute, de pouvoir passer des coups de fil à droite à gauche, et donc, je pense qu’on va avoir de bonnes surprises sur notre capacité à créer des start-ups qui vont avoir au moins un reach mondial, c’est largement faisable et on commence à le voir, des choses assez intéressantes et pas genre un petit compte de clients là etc.
Il y a une start-up qu’on regarde, avec qui on a vraiment envie de faire un truc, qui a la grande majorité de ses clients en Amérique Latine, et Amérique Centrale, et qui maintenant va se développer en Asie. Elle a un mini-client au Liban et à peine un client ou deux au Moyen-Orient.
YO: Et qui opère dans quel domaine?
HC: C’est de l’industrie Saas (Software as a Service).
YO: Comment ils en sont venus à démarrer ici et à trouver des clients en Amérique Latine?
HC: Ils étaient là, puis après ils se sont dits « tiens, machin m’a parlé de machin au Brésil, je vais aller le voir », et c’est des gens qui ne se disent pas « pfff, il va falloir faire 17h d’avion… », ils se disent « ouais, 17h d’avion, ça se fait en 3 jours, j’y vais, je fais mes meetings, je reviens ». J’ai fait Dubai dans la journée hier, et ici ça n’a rien d’exceptionnel, j’ai fait 8 heures d’avion, je suis parti à 7 heures, je suis rentré à minuit. C’est pas un truc ici, qui impressionne. Quand on travaille entre Beyrouth et Dubai, tout le monde fait ça ici, c’est comme d’avoir un bureau à Paris et à Moscou, si je disais ça à la moitié de mes copains à Paris en leur disant « pourquoi tu n’ouvres pas un deuxième bureau à Moscou? », tout le monde me regarderait comme un fou. Ici, ce n’est juste pas un sujet!
YO: Et quelles sont les motivations? Quels sont leurs leviers, c’est quoi l’envie profonde qu’on ressent derrière? Est-ce que c’est juste de gagner un peu plus d’argent, est-ce que c’est de se créer un boulot parce qu’il n’y en a pas, est-ce que c’est de changer le monde comme la Silicon Valley prétend vouloir le faire? Qu’est-ce qu’on ressent derrière?
HC: Je ne veux pas parler au nom de tout le monde, mais déjà, c’est devenu beaucoup plus acceptable de travailler pour une start-up. Il y a 7 ans, en 2009 quand on a commencé à faire Diwanee, quand on débauchait des gens qui étaient dans une grande entreprise stable, pour venir travailler dans une start-up, une start-up c’était très risqué, parce que ça voulait dire des crédits à la banque, « les gens, qu’est-ce qu’ils vont dire? », il y avait des gens qui préféraient quitter un boulot de tech chez nous pour aller travailler dans une banque en sachant qu’ils allaient mourir d’ennui, mais c’est « safe », s’il y a des problèmes sécuritaires la banque est toujours là, voilà.
Donc, il y avait déjà avant ça une culture d’entrepreneur business, mais une culture de salarié dans les start-ups, c’était très compliqué. Aujourd’hui, ce qui est en train de se passer, c’est qu’il y a des exemples, de premières start-ups qui réussissent, qui soient vendues ou pas, je ne pense pas que ce soit le critère de réussite, mais qui sont de belles start-ups, qui soient de vraies entreprises, donc ça c’est une première chose, de montrer que ça tient.
Le deuxième phénomène, c’est que les gens qui ont rejoint des start-ups il y a 6 ou 7 ans, commencent aussi à les quitter pour créer la leur, ils ont commencé à voir ça de l’intérieur, et donc on commence à avoir cet effet boule de neige qui est en train de se passer. Et ça, combiné avec le fait qu’ils voient bien que les jobs corporate, ça ne va pas être un grand changement dans leur vie, ils vont bien la gagner confortablement mais l’immobilier au Liban est cher, si vous voulez commencer à acheter votre maison ou votre appartement ça va être compliqué, donc…
Il y a évidemment cette envie de mieux vivre, de mieux gagner sa vie, mais aussi de commencer à aimer le goût d’une culture corporate très différente entre les start-ups et les grands groupes qui étaient souvent très familiaux, où il y avait la famille qui dominait, où de toute manière si j’étais un numéro 3 dans un groupe, je ne serai jamais numéro 2 ou numéro 1, parce que c’est le neveu ou machin qui le sera etc. Et tout ça est en train de se mélanger, et faire que, entre le côté plus acceptable dans un dîner de dire « je travaille dans une start-up » – il y a une chose à laquelle on travaille beaucoup, à titre personnel, mes associés à travers Diwanee, c’est la culture d’échouer.
Ca aussi, très généralement au Moyen-Orient, louper quelque chose c’est très mal vu, parce qu’on se définit aussi beaucoup par rapport aux autres. Et donc, que ça soit à l’intérieur de Diwanee, que les gens essaient des choses! De louper des choses! D’apprendre de ses erreurs était très difficile au début! Par exemple, on avait pris cette culture de ne jamais donner de réponse aux gens. Quand ils posaient une question, la réponse qu’ils avaient toujours c’était « qu’est-ce que tu ferais, toi? ». Parce que sinon, quelque soit ce que j’allais dire ou que Delphine allait dire, c’est ce qu’ils allaient faire, même s’ils pensaient exactement le contraire.
Donc tout ça est en train de se mettre en place, et je pense que d’avoir cette couche, maintenant, d’initiative de Banque Centrale avec beaucoup d’argent, aussi aide parce que ça montre que le pays y croit. Et c’est en train de se passer!
La Jordanie était regardée il y a 5 ans comme une espèce de modèle, de pays arabe qui s’était bien mis à faire de la start-up, aujourd’hui le Liban est en train de largement prendre cette place, et si on se débrouille pas mal, il y a moyen de faire quelque chose de très bien!
YO: Quels sont les enjeux des prochaines années pour que se construise un véritable écosystème, justement, qui a sa place à l’échelle régionale? Quels sont les points clés qu’il faut développer, consolider, ou les points de faiblesse qu’il faut absolument corriger, qui sont des problèmes aujourd’hui?
HC: Je pense qu’un des points clés pour réussir, c’est de donner plus de visibilité, déjà, à ce qu’on est en train de faire. Il y a une méconnaissance de ce qui est en train de se passer; puisque comme c’est des bouts, les gens qui ne sont pas vraiment dans le système ne voient pas ce qui est en train de se passer, c’est très « sous le radar ». Donc on est en train de travailler là-dessus, pour essayer de rassembler tout ça.
C’est important, pas simplement en terme marketing, c’est important puisque ça doit rassurer ceux qui sont là que c’est bien là qu’il faut créer sa start-up, et encore une fois aussi, attirer des profils qui peuvent être très intéressants pour nous, qui sont des Libanais expatriés qui ont vécu des expériences start-up très poussées aux US, en Europe, etc. et de les faire revenir. Alors, quand on disait ça il y a 24 mois, tout le monde rigolait, en disant « tu vas faire revenir un ingénieur de la Silicon Valley au Liban? Bien sûr, ouais, c’est ça… Vous êtes des fous! ». Maintenant, les gens rigolent un peu moins, parce qu’on commence à avoir des cas…
YO: Et qu’est-ce qui les fait revenir?
HC: Il y a 2 choses; alors pour l’instant ce sont des cas isolés, mais ça discute.
La première chose, c’est de commencer à plus prendre conscience de ce qui est en train de se passer.
La deuxième chose, c’est avec l’injection d’argent, on commence à pouvoir payer des salaires plus décents, et que franchement aujourd’hui, si je dois choisir entre gagner 3000 $ à Beyrouth ou 3000 $ à Paris, je préfère largement gagner 3 000 $ à Beyrouth; que la Silicon Valley, tout le monde en parle toute la journée, mais que les prix sont ultra-chers, que Dubai c’est ultra-cher, et que même quelqu’un qui a un salaire de 10 000 $ aux US ou dans la Silicon Valley, il ne fait pas la fête tous les jours, pour louer un appartement à San Francisco ou à Manhattan, ce sont des villes qui coûtent!
Je viens de voir une start-up basée à Londres, quand je vois ce que ça coûte pour gérer 11 personnes, c’est impressionnant! Donc, encore une fois, les start-ups se décontractent…
YO: On va parler de TCO (Total Cost of Ownership)! 🙂
HC: Nous on est en train de pousser aussi, je pense que ce qui est en train de changer, moi je le vois chez Diwanee, ce qu’on discute avec Webedia, ce n’est plus un tabou de dire « pourquoi on ne ramènerait pas un Français sur ce sujet-là parce qu’il a une super expérience, et il vient vivre 2 ans au Liban? ». Je ne connais pas une des personnes de Webedia qui est venue bosser ici pour un mois ou deux, qui n’a pas aimé l’expérience! Donc, c’est en train de se passer. On est en train de parler d’envoyer aussi un Libanais ou deux chez Webedia pendant 6 mois qu’ils apprennent tout et qu’ils reviennent, donc tout ça, c’est encore une fois des épiphénomènes, mais qui sont de plus en plus nombreux.
J’ai vu une Product Manager d’une très grande start-up dans la Silicon Valley, qui est Libanaise, qui a un super profil, et qui est en train de se dire « pourquoi pas? ».
Moi ce qui m’éclate, c’est une chance de pouvoir créer un écosystème!
YO: Donc c’est l’excitation de participer à un phénomène qui est au-delà de sa propre entreprise?
HC: Voilà, on n’est pas en train de changer le monde, mais on peut se retourner dans 5 ans et se dire qu’on a fait une Start-Up Nation! Et ça, c’est combien de fois dans une vie? De participer, de discuter avec un gouvernement… alors ce n’est pas drôle, ce n’est pas toujours facile, mais, il y a un gouverneur de la Banque Centrale qui comprend, qui pousse, qui est « supportive », il y a des investisseurs privés qui arrivent…
Et en 5 ans déjà, on est passé de rigolade, à – comment on dit en anglais, genre le sourcil qui se lève – on se dit « tiens, qu’est-ce qui est en train de se passer là?, et y’a des gens qui se disent « pourquoi pas? », et c’est là que ça commence à se passer! Et puis, il y a des gens qui se disent: « franchement, que je monte ma start-up là, ou que je monte ma start-up à Paris, ou à New York, vu ce que je vais faire, si je trouve assez de talents et assez d’investissements, il n’y a pas de raisons que ça ne marche pas! »
YO: Mais quels sont les principales difficultés, ou les risques, qui pourraient empêcher ou ralentir? Je pense simplement à la connexion Internet, par exemple… Quelles sont les vraies difficultés qu’il ne faut pas nier?
HC: Alors voilà, la connexion Internet, c’est typiquement un sujet. Donc cet entrepreneur qui est Iranien, qui a vécu toute sa vie à Dubai, avec sa start-up qui a un bureau à Beyrouth, vient de me dire « j’ai été impressionné du progrès de la connexion en 1 an ».
Il y a un an, on avait à peine de l’ADSL à 500 ko à la maison, aujourd’hui j’ai 8 Mo en connexion illimitée! Bon, ce n’est pas encore 25 ou 30 Méga, mais dans un an, on va avoir la fibre optique au BDD (Beirut Digital District). Faisons juste pour rigoler, c’est quoi le pourcentage d’entreprises digitales en France, connectées à la fibre optique?
YO: Donc il n’y a pas de difficultés? Je ne cherche pas les points noirs, c’est pour avoir une vision un peu objective des choses…
HC: Il y a des difficultés, il y a plein de difficultés au quotidien! Il y a les difficultés que tout écosystème digital trouve, l’assèchement des ressources, les profils qui ne sont pas assez bien formés dans les universités qui n’ont pas adapté des cursus, on trouve tout ce qu’on a connu en France… On n’a pas d’école qui forme sur le digital… On a des lois qui évoluent trop lentement… par exemple, des trucs très basiques: il n’y a aucune loi qui permet de faire un plan de stock-options au Liban. Il a fallu qu’on trouve des moyens.
Parce que ce n’était pas dans la mentalité de partager, voilà! Un des secrets de la réussite de Diwanee, je pense, c’est qu’il y avait un plan de stock-options très généreux, et les managers, soit ont été recrutés avec ça, soit ont été récompensés quand arrivés à un certain poste, il y a des managers aujourd’hui qui sont très incentivés! Il n’y a pas de marché intérieur! Les douanes qui n’arrivent pas à comprendre un principe de retour sur le e-commerce et qui chargent le e-commerçant comme de l’importation et qui appliquent les frais de douane sur un produit qui est réimporté comme s’il était importé… Il y a les moyens de paiement en ligne qui sont très arriérés! Il y a le fait de faire une transaction en carte de crédit qui est très compliqué en ligne… Je peux en lister…
YO: C’est aussi pour donner une idée aux gens qui vont écouter qui ne connaissent pas…
HC: C’est un écosystème naissant, dans un pays qui peut être considéré comme émergent. Donc va avec ça, tout ce qui vient là-dedans; en même temps, on a assez d’adrénaline aujourd’hui pour faire en sorte que, bon, il y a des coupures d’électricité tous les jours, avec un générateur et un UPS, ça me coûte 1000 $ / mois de plus sur ma start-up, voilà… pas plus que ça. Oui l’Internet est plus cher, je paie 500 $ ce que devrai payer 20 $. OK, on est à 1500 $ de surplus. A côté de ça, j’ai à peine 17% de charges sur mes salaires. Ce qui compense largement le surcoût de mon Internet et de mon électricité. Comme tout pays, il y a des problèmes…
Sans dévoiler de grand secret ni faire de politique, on ne peut pas dire qu’on a un Etat qui fonctionne de manière optimale. Je pense qu’il y a cette déconnexion où une tranche de la population a décidé d’avancer, quoi qu’il se passe! Il y a des risques sécuritaires, on ne va pas se mentir non plus. On a Daech à 100 kilomètres d’ici, hein; heureusement, il y a 2 séries de montagnes qui aident un peu quand même. Il y a une guerre civile en Syrie qui est là depuis 4 ans, on a pris 1 million de réfugiés, et en même temps, c’est quand même impressionnant, quoi; les gens ne réalisent pas, c’est un pays de 4 millions d’habitants qui a pris 1,2 millions de réfugiés.
Quand je vois juste les débats que 3 bateaux qui se déversent en France de 200 personnes… imaginez, à l’échelle de la France, c’est comme si on avait pris 17 millions de réfugiés! Juste comme ça, ce que ça donne de prendre 17 millions de réfugiés au niveau de la France! Donc… ça tient. Comment? 🙂 Et voilà. Oui, il y a plein de raisons, et en même temps, il y a plein de raisons d’espérer. Donc qu’on ait le verre à moitié vide, ou à moitié plein, on le regarde à moitié plein.
YO: Dernière question sur le côté « à moitié vide », quel est le plus frustrant, dans le développement ou la gestion de l’activité?
HC: Le plus frustrant… au Liban, je trouve que c’est: ce n’est pas compliqué à « fixer » comme pays, dans le sens anglais de « fixer » – faire marcher. C’est un petit pays; ce n’est une grande géographie; il n’y a pas une grosse population; il y a l’Union Européenne, la World Bank, tout le monde est prêt à aider; c’est pas un pays de 70 millions de personnes, ou la Russie, où il y a des travaux d’infrastructure énormes… Il y a un autoroute au Liban, il n’y a rien quoi, il y a 4 routes, j’exagère à peine, et pourtant, ça ne se fixe pas! Donc… combien de fois j’ai vu des gens d’ambassade, en disant, « 3 ans, c’est réglé, l’histoire! Et on fait un pays qui tourne! ». Donc, voilà, ça c’est frustrant, c’est le gâchis. Ca pourrait être si simple… et ce n’est pas simple.
YO: Et si on avait une baguette magique, là, 3 voeux à exaucer, ce serait quoi?
HC: 3 voeux à exaucer? J’en prendrai un: aucune influence extérieure pendant 10 ans, et le reste on va s’en occuper!
YO: C’est tout?
HC: C’est tout.
YO: Merci beaucoup, je n’ai plus de questions. Quelque chose à rajouter? Que je n’ai pas dit, posé…
HC: Non, voilà, le message est toujours le même: moi je suis hyper content! C’est encore une fois, ce qui est excitant, c’est ça: c’est un petit réacteur, mais on est au coeur du réacteur, et on peut changer l’économie d’un pays. Nous, ma femme et moi, on s’est toujours dit quand on est venu ici, qu’on réussisse ou qu’on échoue, l’expérience personnelle qu’on a eue est hyper intéressante.
On ne fait pas de politique, c’est de la société civile dont on parle. On peut changer. Le Liban a toujours tourné sur 3 économies qui sont la banque, l’immobilier et le tourisme. On peut créer un 4ème pilier de l’économie qui a une vocation régionale. Si on fait ça en quelques années, ça vaut le coup de rester malgré tout, malgré les poubelles dans la rue.
YO: PS: Ca me fait penser, j’ai une question que j’ai oublié de poser du coup. Sous la casquette d’investisseur, quelle est la stratégie ou l’ambition?
HC: L’ambition qu’on a, en tout cas qu’on s’est fixée nous, c’est de faire de gros paris.
On est quand même des entrepreneurs à la base, donc on va prendre de vrais paris. Je trouve que trop souvent les investissements avec l’arrière-pensée que ça va échouer. Aujourd’hui, c’est un peu trop le problème des investissements faits au Liban.
Et on va faire des investissements avec l’arrière-pensée que ça va réussir. Et je pense que ça va changer beaucoup de choses. Quand on commence à investir en préparant le plan B, généralement le plan B il arrive très souvent. Donc, voilà, on va se mettre en position de réussir, et puis après se passera ce qui se passera…
YO: Et pourquoi tenir son portefeuille secret? En Europe ou aux Etats-Unis ça ne l’est pas…
HC: Non, non. On est un jeune fonds, on a 8 mois, on a fait 3 investissements pour l’instant. On a pris le parti d’annoncer les investissements quand ils sont entièrement réalisés, c’est-à-dire l’argent à la banque, validé par la Banque Centrale, etc. etc.
YO: Donc pas d’effet d’annonce.
HC: Pas d’effet d’annonce. Et de plutôt communiquer sur le résultat de nos investissements, et même le board du fonds n’a pas encore le retour. On garde tout ça. On ne discute jamais de qui on a vu, que ce soit un oui ou un non, et quand on annonce quelque chose, c’est que les gens ont fait quelque chose avec l’argent qu’on a donné.
Donc, on n’a pas de problèmes de fund raising, on ne cherche pas d’argent d’investisseurs, on n’a pas de publicité à faire, et le seul résultat sur lequel on nous mesurera, c’est dans 7 ans, de quel est le rendement sur l’argent qu’on nous a passé. Tout ce qui se passe entre, n’est que des effets d’annonce. Voilà.
YO: Merci beaucoup Hervé, rendez-vous dans 7 ans, et peut-être avant j’espère, pour avoir des nouvelles!
HC: RV dans 7 ans! Et oui, faut suivre, tous les ans…
YO: Merci!