Femmes Développeuses: interview Aurélie Vaché, développeuse Full-Stack

Alors que la croissance est tirée en grande partie par le numérique, on ne compte pas plus de 10% de femmes développeuses encore aujourd’hui en France.

Pourquoi ? Comment changer cela ?

J’ai interviewé 4 femmes développeuses pour explorer leur parcours et leur expérience.

Entretien aujourd’hui avec Aurélie Vaché, développeuse web Full-Stack, pour explorer son parcours, son expérience, et son point de vue sur la question.

Aurélie Vaché

Youmna Ovazza : Bonjour Aurélie, merci de m’accorder cet entretien. Pourrais-tu commencer par présenter ton ou tes activité(s) actuelle(s) ?

Aurélie Vaché : Bonjour, je suis développeuse Web Full-Stack chez atchikservices à Toulouse depuis 2006. J’ai la double compétence Développement et Opérations (DevOps).

Je fais partie du Board de Duchess France depuis cette année et m’implique autant que je le peux dans cette association qui me tiens à coeur.

Duchess France, association de développeuses

Si vous êtes du côté de Toulouse, vous pouvez me voir à certaines conférences et meetups techniques (notamment ceux du TAUG, JUG et du Toulouse Data Science que j’affectionne tout particulièrement).

Meetup Toulouse avec Aurélie Vaché

 


 

YO : Comment te définis-tu toi-même ? Quand tu te présentes, tu te présentes comme développeuse, codeuse, programmatrice, autre … ?

AV : Lorsque je me présente, si mon interlocuteur connaît le milieu de l’informatique, alors je dis que je suis développeuse, sinon je dis que je suis informaticienne.

Le titre de développeur définit une grande partie de mon travail au quotidien. Il y a quelques années on parlait “d’analyste programmeur” mais ce terme disparaît peu à peu j’ai l’impression alors qu’il expliquait davantage le contenu du métier.

Je me définis également parfois comme une “bidouilleuse”. Si je ne sais pas faire quelque chose, je vais me renseigner, regarder, mettre les mains dans le cambouis et bidouiller.

 

YO : Qu’est-ce qui t’a incitée, au départ, à t’intéresser à ce métier, à cet univers ?

AV : Mon oncle avait un PC lorsque j’étais petite et cela me fascinait, je me demandais déjà comment étaient conçus les jeux qui tournaient sur les disquettes, comment cela pouvait fonctionner.

J’étais au collège, en 6ème ou en 5ème, lorsque j’ai eu mon premier ordinateur à la maison. Il s’agissait d’un vieux Packard Bell qui tournait avec un P1 à 133 Mhz. On était bien loin des mastodontes qui tournent maintenant avec un processeur i7 possédant plusieurs coeurs et avec plusieurs Go de mémoire vive ;-).

En 3ème je participais à des ateliers « informatique » le midi et c’est là que j’ai commencé à écrire mes premières lignes de HTML et je pouvais voir, grâce à Netscape, le rendu de mes premières pages web puis c’est cette année également que je me suis mise à écrire mes premières lignes en Turbo Pascal à la maison.

C’est à ce moment là que j’ai su que cela me plaisait et que j’aimerais bien faire des études d’informatique.

 

YO : Quelles études as-tu faites ? Autres formations ?

AV : Après un Bac STT IG, j’ai fais un BTS Informatique de Gestion « Spécialité Développeur d’Applications » et ensuite une Licence Professionnelle option “Développeur d’Applications E-Business” à Montpellier.

Puis au fil des années, en poste chez atchikservices, j’ai suivi des formations techniques concernant entre autres : la gestion avancée de la persistance avec le framework Hibernate, l’ergonomie et le dév. d’applications Android.

Je pense qu’il est important de continuellement effectuer de la veille technique et se former pour monter en compétence et toujours être à niveau.

 

YO : Quel a été ton parcours professionnel ? Quelles étapes ont été déterminantes en matière d’orientation (types de projets, d’entreprises, rencontres…)

AV : A la suite de ma licence pro j’ai été embauchée par atchikservices et depuis je n’ai pas quitté cette entreprise. Il faut dire qu’au fil des années j’ai changé plusieurs fois d’équipe et de poste et mes tâches quotidiennes diverses et variées font que l’on ne peut pas s’ennuyer.

J’ai commencé en tant que Développeuse Java/JEE (J2EE à l’époque). Je faisais partie de l’équipe technique qui s’occupait de créer des Chats pour des opérateurs de téléphonie mobile, pour les interfaces SMS, MMS, WAP et Web. Pour ceux qui ont connu l’internet sur les mobiles, il existait plusieurs technologies qui se cachaient derrière le WAP et j’étais chargée de concevoir des Chats en WML, xHTML et OML (Orange Markup Language).

Petit à petit, j’ai été dans des équipes différentes et mon rôle consistait toujours à développer mais également à déployer les applications en pré-production et en production. Alors que l’on ne parlait pas du courant DevOps, nous en faisions déjà et avec des grands volumes de données (ce que l’on appelle la Big Data maintenant).

Cela m’a permis au fil des années de devenir une développeuse “Full-Stack”.

 

Développement Full-Stack
Développement Full-Stack (source image: Slate)

 

Ce que j’aime dans mon métier c’est que je touche à toutes les couches d’un projet. Ça va de l’administration système, aux bases de données, au développement d’applications métiers, sociales, de sites Internet, à la gestion de projet technique, en passant par la qualité de service, l’optimisation des performances, l’opérationnel (DevOps), le monitoring, la sécurité, le déploiement, le SEO, l’ergonomie (UX) et le Big Data. Je touche autant au Front qu’au Back.

Avoir la double compétence, je trouve cela très enrichissant. Le développement et les Opés sont complémentaires.

Donc au fur et à mesure que les besoins de l’entreprise changeaient et évoluaient, je faisais de même :

  • Ils avaient besoin d’une Dev JAVA/J2EE ? Ok pas de problème !
  • Ils avaient besoin d’une hybride mi-Dev mi-Ops ? Je me suis intéressée à ce que les équipes opérationnelles faisaient et j’ai appris en regardant leur travail quotidien.
  • Ils avaient besoin d’une personne pouvant concevoir des applications sur un nouveau réseau social en forte croissance à l‘époque ? D’accord, je vais voir ce que je peux faire ! Je me suis renseignée concernant les technologies qui existaient et depuis je m’occupe du développement de toutes les applications Facebook que l’on fait pour nos clients.

J’ai toujours su m’adapter, assez rapidement, aux besoins de l’entreprise et aux nouvelles technologies et je continuerai de le faire. C’est dans ma nature d’être curieuse, multi-tâches et multi-compétences.

 

YO : Quelles sont tes spécialités aujourd’hui ? Pourquoi ?

AV : J’ai été embauchée en tant que Développeuse Java à la base mais je suis assez multi-casquettes, je m’intéresse à beaucoup de choses et aime continuellement apprendre, je suis en veille permanente.

J’ai quelques spécialités, dont JAVA, mais je pense que ma principale force est de ne pas en avoir, d’être assez généraliste et de toucher à tout. J’ai l’impression d’être une pieuvre parfois 🙂 :

 

Compétences Aurélie Vaché

 

YO : A l’inverse, quels langages / sujets n’aimes-tu pas pratiquer, et pourquoi ?

AV : Ce n’est pas évident de répondre à cette question car je m’adapte assez facilement et je suis multi-compétences / multi-langages, mais s’il y a un langage qui n’est pas trop ma tasse de thé pour le moment c’est le Perl. J’ai eu à créer et modifier des scripts en Perl il y a quelques années. Je n’avais pas énormément de temps à y consacrer, les scripts étaient énormes et cela ne m’a pas laissé de bons souvenirs ^^.

 

YO : Aujourd’hui, qu’est-ce qui te plaît particulièrement dans ton métier ?
Et sont-ce les mêmes raisons qui t’avaient donné envie au départ, ou pas ? Sinon, qu’est-ce qui a changé ?

AV : Lorsque j’étais petite j’adorais dessiner ou jouer aux Lego. Dans les deux cas ce que j’aimais, et que j’aime toujours faire, c’est de partir de rien et de concevoir quelque chose. Partir d’une idée et réaliser une application, un logiciel ou un site, cela part de la même envie : créer.

Je me dis que j’ai de la chance de faire un métier où on ne peut pas s’ennuyer. Il y a toujours à faire, à modifier, à corriger, à évoluer …

Même si la base du métier n’a pas changé, en 10 ans les outils, les technologies ont eux bien changé. Tout est en constante évolution, il faut sans cesse faire de la veille et faire le tri car on peut être noyé sous les les nouvelles librairies Javascript par exemple ;-). Il faut faire la part des choses, ne pas plonger tout de suite dans l’utilisation d’une nouvelle technologie et selon le besoin, utiliser telle ou telle techno, la comparer avec une autre …

Grâce à internet et aux communautés de développeurs, on peut rapidement trouver un indice/une piste sur une problématique par exemple ou bien une librairie, un framework qui pourrait répondre à un besoin donné.

Je trouve également super tous les meetups et ateliers qui ont lieu chaque mois dans toute la France. Toute cette aide et ce partage de connaissances je trouve cela très important et j’essaie d’y participer autant que possible.

Il faut également savoir que être “développeur” c’est vague. Il existe une multitude de types de développeurs et de spécialités.

Un développeur iOS ne fera pas la même chose qu’un développeur qui travaille dans les systèmes embarqués par exemple.

Le travail de développeur n’est pas figé et non, contrairement à ce que l’on nous dit durant nos études, on peut évoluer sans devenir chef de projet. Être développeur à 30 ans ne veut pas dire que l’on n’a pas évolué et que l’on a raté sa vie.

Aurélie Vaché en conférence technique

YO : Qu’est-ce qui te différencie de tes collègues dans ta manière de travailler ?

AV : Je pense que je suis plus sensible à l’ergonomie et au détail. Je suis également très curieuse. Mais à part cela, je ne me sens pas différente de mes collègues.

 

YO : Selon toi, ces différences sont-elles liées à ta condition féminine (« attributs féminins »), ou sont-elles simplement liées à ta personnalité ?

AV : Aux deux. Notre sexe et notre personnalité font de nous ce que nous sommes.
YO : As-tu un point de vue, des observations, sur les différences entre hommes et femmes dans le développement informatique ? (manière de réfléchir, de travailler, types d’objectifs ou de résultats, leviers de motivation, etc.)

AV : Je pense que les leviers de motivation entre les hommes et les femmes sont différents. Les femmes peuvent être plus attirées par des avantages qui les concernent elles mais également leur famille. Elles sont en général plus organisées et savent faire plus de compromis.

Je pense que la mixité, et mieux encore, la parité est quelque chose de super dans une équipe.

 

YO : Pourquoi, à ton avis, y’a-t-il si peu de femmes dans ces métiers ?

AV : Les préjugés ont la vie dure. Lorsque l’on entend le mot “développeur” ou “ingénieur informaticien”, qui ne pense pas directement à un homme blanc, entre 20 et 30 ans, à lunettes, mal rasé et avec un t-shirt “geek” ?

Mr Geek

Lorsque l’on va dans les collèges et lycées et que l’on parle avec des jeunes filles, on se rend compte que ces préjugés existent encore et qu’elles croient que ce métier n’est pas à leur portée, que c’est trop compliqué.

On dit que le développement c’est une affaire/un métier d’homme alors que la première “programmeuse” de l’histoire était une femme, Ada Lovelace !

Ada Lovelace
Ada Lovelace

Plusieurs femmes ont participé au développement ainsi qu’a l’évolution de l’informatique. Parmi elles Grace Hopper, une militaire informaticienne qui a créé le premier compilateur puis le langage COBOL en 1958. C’est également grâce à elle que l’on doit le terme de “bug informatique”. En effet en cherchant la cause d’une panne sur l’ordinateur Harvard Mark II, elle s’est rendue compte que le dysfonctionnement avait été causé par un insecte pris dans un relais !

Grace Hopper
Commodore Grace M. Hopper, USN (covered).

Il y a également Radia Perlman qui est souvent appelée “Mère de l’Internet” et s’est distinguée avec son invention du protocole Spanning Tree (protocole pour le fonctionnement des ponts en infrastructure réseau).

Il faut également citer Margaret Hamilton qui a, entre autres, travaillé sur la mission Apollo 11 et a permis d’envoyer des hommes sur la Lune grâce à la programmation du système de guidage de la capsule Apollo.

Margaret Hamilton
Margaret Hamilton et son code source écrit pour le programme Apollo.

Je pourrai en citer plein d’autres mais tout cela pour dire que non le développement n’est pas un métier réservé qu’aux hommes :-).

En fait, ce métier est encore mal connu du grand public. Être développeur/développeuse ne signifie pas que l’on passe toutes nos journées devant un ordinateur sans communiquer, à ne faire que “coder”. Nous ne sommes pas des “pisseurs de code” ;-).

Il y a une grande partie d’analyse, de réflexion et d’interactions avec les différentes équipes d’une entreprise. C’est un métier super riche.

Contrairement à ce que l’on peut penser de prime abord, le développeur n’est pas un créateur de bugs mais un créateur de valeur ajoutée.

 

YO : Pourquoi cela ne t’a pas freinée à toi?

AV : J’étais garçon manqué étant petite et je le suis encore un peu. Je ne me suis pas arrêtée à ces préjugés. Ce métier m’intéressait et je ne me suis pas dit que ce n’était pas à ma portée ou réservé qu’aux garçons.

 

YO : Dans tes engagements associatifs, qu’est-ce qui te motive ?

AV : Depuis que j’ai découvert et que je suis dans le Board de l’association Duchess France, j’ai retrouvé une motivation, une énorme envie d’avancer et d’aider. Ce que j’aime avec les Duchesses c’est que l’on ne se sent plus “seule”.

Duchess France est une association destinée à mettre en relation les femmes de l’IT.

Le constat est simple : il y a environ 10% de développeuses en France et parmi ces femmes, peu d’entre elles sont connues pour leurs expertises et prennent la parole lors des conférences techniques. Nous avons envie de mettre en avant des rôles modèles pour susciter des vocations, inspirer les femmes et leur donner la possibilité de se projeter dans les métiers de l’informatique, en particulier la programmation. Notre ambition est de voir plus de femmes trouver leur place dans les métiers techniques du Numérique.

Dans toute la France nous organisons des ateliers techniques (des hands-on), des talks techniques, des ateliers de coaching CFP (en réel ou bien via Hangout), des ateliers de prise de parole et de confiance en soi ainsi que des afterworks qui permettent de rencontrer “en vrai” les membres de la communauté. Prochainement nous allons lancer des “coding Dojos” et nous sommes en train de travailler sur du Marrainage.

L’idée est de former une chouette communauté d’entraide et de partage. Donc si vous êtes développeuse ou que vous travaillez dans la tech, rejoignez-nous sur notre Google Group ! 🙂

Google Group Duchess France

Ce qui me motive c’est que le groupe est super dynamique, il y a toujours quelque chose à faire. J’ai toujours aimé aider les autres et j’ai trouvé ma place dans cette association :-).

Lorsqu’une nouvelle “duchess” s’inscrit sur notre mailing list, ou que l’on vient me voir en disant “c’est toi Aurélie des Duchess ?” cela me rend contente car cela prouve que l’association est de plus en plus visible. De ce fait cela donne encore plus envie d’aller vers les gens lors de meetup et de parler de l’association et d’essayer de changer cette image comme quoi les femmes ne pourraient pas être développeuses.

Ce que j’ai pu constater c’est qu’au contraire les mentalités évoluent et généralement les devs sont super contents de travailler avec des femmes et de parler avec elles, de partager leurs expérience …

 

YO : Si tu devais transmettre le goût de ton métier ou de ton univers à des enfants et adolescents, comment t’y prendrais-tu pour intéresser autant de filles que de garçons ?

AV : Les ateliers de “coding goûter” sont top pour faire découvrir la programmation à des enfants et adolescents, que ce soit à des filles ou à des garçons. Le public est assez mixte en général. Le principe est de ne pas faire de “cours” mais de coder tous ensemble, apprendre en y prenant du plaisir, doucement et de façon amusante.

Si vous êtes intéressés, les coding goûter sont mis en place dans toute la France plusieurs fois par an et accessibles, en général, aux enfants de 8 à 14 ans.

Coding Goûter

YO : Qu’est-ce qui te frustre le plus dans ton activité actuelle ?

AV : Ce qui me frustre le plus c’est qu’un projet n’aboutisse pas pour une raison x ou y. Lorsque l’on passe du temps à réfléchir, à analyser, à maquetter, à concevoir, à modifier, à tester (…) et qu’au final on ne peut pas passer à la mise en production, livrer le livrable au client, je trouve cela très frustrant.

Heureusement ce problème ne m’est pas arrivé souvent mais c’est vraiment quelque chose que je n’aime pas.
YO : Si tu pouvais exaucer 3 vœux, lesquels seraient-ils ?

AV : Si j’avais à ma disposition une lampe magique avec un génie à l’intérieur, quels seraient mes 3 voeux ?

  • Que les hommes et les femmes puissent faire le métier de leur choix
  • Qu’il n’y ait plus aucun handicap qu’il soit visible ou non visible
  • Et enfin un voeu à titre personnel, que tout se passe bien pour mon fils 😉

 

YO : As-tu envie de rajouter quelque chose qu’on n’a pas abordé et qui te semble important ?

AV : Que vous soyez une femme, un homme, travaillant dans l’informatique ou pas, le plus important est de faire un métier qui vous plaît. On a tendance à trop écouter cette petite voix qui nous dit que nous ne sommes pas légitimes, que nous ne sommes pas capable de faire telle ou telle chose et je pense qu’il est très important de se donner sa chance et d’avoir confiance en soi.

YO : Merci beaucoup Aurélie !

 

 

 

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