Cette question semble provocatrice, pourtant, elle ne l’est point : Internet a plus de 20 ans, et le développement du numérique dans toute sa dimension est encore à la peine et à la traîne dans un très grand nombre d’entreprises, alors que les consommateurs plébiscitent les nouvelles technologies quand elles leur offrent des produits et services qui améliorent leur quotidien.
Pourquoi cette schizophrénie ? Pourquoi l’être humain en tant que consommateur ou usager privé comprend très facilement l’usage de Facebook ou de tel nouveau réseau social, quand il faut créer des formations sur-mesure chères en temps et en budget pour que les êtres humains professionnels comprennent et sachent utiliser Microsoft Office dans le cloud qui n’est qu’une simple évolution du même logiciel qu’ils utilisaient auparavant ?
Ce qu’une personne adopte volontairement dans sa vie privée, elle le subit souvent dans son univers professionnel : on peut s’en attrister, s’en plaindre ou le regretter, c’est néanmoins un fait communément observable.
Et c’est, à mon sens, la raison majeure pour laquelle la transformation de l’entreprise se fait rarement naturellement, et quand c’est le cas, c’est plus souvent la pente descendante qui est prise plutôt que la pente ascendante. Pour évoluer, se développer et grandir, voire même tout simplement survivre dans de nombreux cas, une entreprise est obligée de se transformer pro-activement, continuellement. Le numérique ne change rien à cela, à part qu’il provoque un nombre, une variété et un rythme de possibilités inédits : la question ne peut donc se poser de la nécessité de faire la transformation « digitale » de l’entreprise, mais plutôt de quoi et comment faire, pour arbitrer entre toutes ces possibilités ?
Pour les dirigeants non encore convaincus, et ils semblent légion, il ne peut y avoir que 2 explications : soit ils font évoluer leur entreprise, pour rester en phase avec les demandes de leurs clients et leur écosystème de partenaires, et ils font donc probablement, en partie du moins, une transformation digitale sans le savoir, et ce n’est qu’une question de sémantique. Soit ils ne font effectivement rien, et on peut s’inquiéter du développement de leur entreprise à plus ou moins moyen terme… mais ils seront les premiers à s’en rendre compte, en voyant leurs revenus baisser, et / ou leurs coûts augmenter, et ils seront bien obligés de prendre les choses en main.
Car les questions à se poser ont forcément à voir avec le développement de l’entreprise : en quoi le digital peut-il m’aider à gagner plus et / ou me coûter moins ? C’est cette question, simple, basique et fondamentale, qui doit être la clé de voûte de toute stratégie de transformation digitale, et qui ne peut que « parler » à tout chef d’entreprise digne de ce nom.
Pour bien y répondre néanmoins, et c’est ce qui rend le numérique parfois complexe à appréhender, il faut être capable d’articuler et de mettre en perspective 3 visions différentes :
– Une vision large du numérique : de quoi parle-t-on, comment ça marche, qui fait quoi ?
– Une vision claire du métier de l’entreprise, avant même de parler de sa stratégie (qui peut évoluer avec le digital) : quel service je rends à mes clients, qu’est-ce qui me rend spécifique ?
– Une vision lucide des besoins des clients : quels sont leurs problèmes ou envies ? Comment y répondent-ils ?
A partir de ce socle, une stratégie digitale peut se dessiner, et la stratégie d’exécution de la transformation se clarifier, qui n’est finalement qu’une stratégie d’évolution de l’entreprise tirant parti de nouveaux outils, de nouvelles manières de travailler, de nouveaux marchés.
Les questions de patrons qui se posent alors, dans l’ordre ou le désordre, sont légitimement celles de la manière de faire : par où je commence ? Dois-je recruter un directeur de la transformation digitale ou confier ce sujet à un cadre de l’entreprise? Faut-il se faire accompagner par des consultants ou développer une méthode propre? Faut-il investir dans des start-ups ou développer l’innovation interne ? A quelle échéance dois-je attendre un retour sur investissement ? Comment savoir si on va dans la bonne direction ? Etc.
Si l’expérience de ceux qui ont déjà été confrontés à des transformations digitales est certainement fort utile pour éclairer ces questions, il faut se méfier de la transposition systématique des « bonnes pratiques » qui reviennent souvent à des disséminations de pratiques à la mode dont le temps n’a pas encore prouvé l’efficacité. L’adoption des mêmes technologies et des mêmes usages par tous est un facteur de normalisation, une entreprise se développe en se distinguant (à défaut de créer la norme).
Comment je mène ma transformation digitale revient donc à se demander quelle est la vision d’entreprise que je poursuis, quelle ambition à quelle échéance, et comment le digital peut-il y contribuer, en développant mes spécificités propres, pour me faire gagner plus d’argent et/ou diminuer mes coûts : quel chef d’entreprise n’est pas intéressé par cela ?
Encore faut-il garder ces critères simples et basiques en tête au moment de prendre les décisions qui s’imposent en conséquence : à qui je fais appel et pourquoi faire, là, tout de suite, maintenant … !
Note 1 : cet article se base sur mon retour d’expérience de 4 ans en tant que Chief Digital Officer d’une ETI internationale.
(Source image : http://gigi9042000.tripod.com/)