Article initialement publié dans Parole d’Expert – Cercle du Marketing Client.
L’innovation de services liés au numérique a le vent en poupe. Après quelques années focalisées sur la transformation digitale, de nombreuses entreprises, souvent sous l’impulsion des grands groupes, commencent à entrevoir que ce qui fera la différence dans leur développement demain, n’est pas forcément leur nouvel outil de CRM mais leur capacité d’innovation et leurs futures offres de produits et services.
Et que font-elles pour répondre à cela ? Devant la difficulté – l’impossibilité ? – d’insuffler un esprit d’innovation dans des équipes pilotées par des chiffres et des reportings au terme de plus en plus court, des labs d’innovation et autres start-up studios, bulles autonomes et brillantes de promesses, fleurissent partout, avec l’espoir de réaliser le merveilleux mariage de l’esprit conquérant des start-ups et des moyens expérimentés des plus grandes entreprises.
Si l’intention de départ peut sembler bonne, on est frappé de constater la duplication des mêmes méthodes, des mêmes approches, des mêmes façons de faire, sous couvert de « best practices » – et probablement également, de cabinets de consultants qui revendent la même sauce à tous.
Peut-on réellement créer de la nouveauté en utilisant tous le même fond de sauce ?
Pour filer la métaphore culinaire, on peut tout à fait créer de nouvelles recettes avec les mêmes ingrédients de départ. Si certains aiment découvrir et intégrer à leur cuisine des ingrédients exotiques ou inconnus, tout le monde n’a ni les moyens ni le goût d’aller à l’autre bout du monde, ce qui n’empêche pas une large palette de créativité culinaire possible.
Ce qui va faire la différence, à ingrédients identiques, c’est l’imagination, l’expérience de chacun qui aura transformé un savoir-faire « métier » standard en une patte personnelle, et les contraintes de la situation, ces dernières pouvant être autant liées aux moyens disponibles qu’au positionnement ou à la stratégie à respecter : c’est ce mix qui fera que, avec les mêmes ingrédients, un amateur dans sa cuisine en Bourgogne, un chef dans un restaurant 3 étoiles à Paris, et un autre dans un bistrot à Marseille, ne feront très probablement pas la même chose. Et c’est justement ce qu’on attend d’eux.
Les Labs d’innovation, loin de créer ces conditions, semblent vouloir faire tout l’inverse, à partir de conclusions hâtives qui leur font prendre l’ombre pour la proie :
– ils s’extraient du terreau de contraintes de l’entreprise, pour se mettre « hors-sol », sous prétexte de libérer leur créativité sans contraintes, alors que ce sont les contraintes qui favorisent l’imagination et l’innovation utile, qui va trouver preneur dans la vraie vie ;
– ils soumettent leurs participants, entrepreneurs et intrapreneurs, à un même rythme d’accompagnement, aux mêmes processus de pilotage, complètement artificiels et qui ne peuvent favoriser ni l’émergence de « pattes personnelles » ni le déploiement de l’imagination ;
– ils se rassurent en recrutant les mêmes profils, en utilisant les mêmes outils de gestion et de communication, sous prétexte d’adopter les meilleures pratiques et ce qui se fait de mieux dans la Silicon Valley. C’est nier le pouvoir de standardisation des outils et des processus, qui induisent une certaine manière de travailler et de penser qu’on risque donc retrouver partout. Tout cuisinier a besoin d’un couteau, faut-il absolument que tous les cuisiniers aient le même couteau ? Les propres patrons des réseaux sociaux les plus répandus ne les utilisent pas eux-mêmes…
L’innovation est d’abord dans le regard : ce léger décalage dans l’observation qui fait émerger les opportunités là où l’habitué ne voit que des contraintes
Et si les responsables d’innovation se tournaient vers l’intérieur de l’entreprise, plutôt que vers la presse et ses caméras ?
Et s’ils s’appuyaient sur le terreau de contraintes internes, plutôt que de fantasmer sur le hors-sol qui ne produit rapidement que des goûts fades, standardisés et sans saveur ?
Et s’ils s’attachaient à cultiver et nourrir la « patte » propre de l’entreprise, ce qui alimenterait sa valeur réelle, plutôt qu’à alimenter son ego ?
Et s’ils se cassaient la tête à essayer de libérer la capacité d’améliorer, d’innover, au quotidien, au niveau des équipes qui subissent les problèmes, en se réjouissant d’avoir ces contraintes ?
Et s’ils s’autorisaient à créer, définir, construire, peu à peu, leurs propres normes, leurs propres indicateurs, leurs propres outils parfois, ce qui commence souvent par poser les bonnes questions, plutôt que d’être pressés d’apporter tout de suite les bonnes réponses ?
Et si les responsables d’innovation et leurs commanditaires… essayaient d’innover, pour changer ?