Comment intégrer l’innovation en agence de communication?
Retour sur l’expérience MRM LAB: bilan de 2 ans d’activité (2008-2010)
Une agence de communication peut-elle se permettre d’ignorer l’innovation digitale et technologique? Non en théorie, quel que soit son positionnement d’ailleurs, mais dans la pratique, c’est beaucoup plus complexe. Les tendances se faisant et se défaisant à vitesse grand V, il existe souvent un fossé entre les profils les plus avertis et les autres, qui n’est pas sans poser de sérieux problèmes en matière de conseil et de service client, c’est-à-dire avec un impact potentiellement direct sur le métier même de l’agence et sa valeur ajoutée.
Une approche possible et parfaitement compatible avec le fonctionnement des agences de communication, contrairement à certains réflexes conservateurs, est de s’inspirer des modes d’innovation ouverte ou open innovation. Ayant été confrontée à cette problématique lorsque j’étais à l’agence MRM Worldwide (Groupe McCann Erickson), où j’avais la responsabilité de développer la culture digitale interne et l’innovation digitale, sans budget associé néanmoins, je m’étais inspirée de ces grands principes pour créer le MRM LAB en novembre 2008. Début 2011, à l’occasion de mon départ de MRM, j’en avais dressé le bilan qui s’était avéré fort riche de résultats et d’enseignements, et parfaitement déclinable dans d’autres agences ou sociétés de conseil et de services. Trois ans plus tard, c’est toujours d’actualité pour un grand nombre d’agences, et comme de l’eau a coulé sous les ponts depuis, je trouve utile de le partager aujourd’hui…
Le concept: créer une galaxie de partenaires et les exposer aux collaborateurs de l’agence
La mission du MRM LAB était simple: rencontrer régulièrement des sociétés innovantes et des start-ups, et les présenter à l’ensemble de l’agence, dans l’objectif de réaliser des projets avec eux et d’accélérer leur intégration auprès des clients de MRM. Le concept du Lab est l’inverse de la marque blanche: en partant du principe qu’une agence ne sait pas tout faire et que plus aucun client ne le croit d’ailleurs, il nous semblait plus intéressant de valoriser nos partenaires éventuels que de les cacher.
Au départ, les rencontres étaient réalisées uniquement par l’équipe du MRM LAB, qui les restituait ensuite au reste de l’agence en une réunion mensuelle plénière. Au bout d’un an d’activité, les rencontres ont été ouvertes directement à l’ensemble des collaborateurs de MRM, ainsi qu’aux autres agences du groupe McCann situées dans le même bâtiment (McCann, McCann G Agency, Future Brand, Weber Shandwick…). Un site web a également été créé, avec page Facebook, comptes Twitter, Slideshare et YouTube liés, et des articles publiés suite aux rencontres réalisées. (Sites fermés depuis par la nouvelle équipe de direction ayant repris l’agence en 2012).
L’équipe du MRM LAB était une équipe légère de volontaires uniquement, avec un coeur de 5/6 contributeurs principaux et des contributeurs plus occasionnels, et animée comme une communauté interne (plutôt qu’en mode hiérarchique).
Les résultats
Les chiffres pour commencer, selon le bilan (tout à fait officiel et partagé en externe) réalisé en novembre 2010 pour les 2 ans du MRM LAB:
– 60 sociétés rencontrées
– 31 articles publiés
– Une quinzaine de propositions pro-actives faites à des clients et prospects (dans le cadre d’appels d’offre)
– 5 projets réalisés
– Zéro coût externe (sauf frais légers pour réalisation de prototypes internes), le seul investissement ayant été le temps des collaborateurs (en supplément de leur activité principale à l’agence).
Avec un projet de départ sans aucun objectif quantitatif et pas du tout orienté vers cela, nous obtenons à l’arrivée un taux de réalisation de 8% sans coûts externes: ce qui confirme l’intérêt économique du modèle et laisse présager de bien meilleurs résultats si le projet est conçu ainsi dès le départ!
Les résultats qualitatifs furent quant à eux nombreux et à de multiples échelles:
– Impact interne auprès des collaborateurs:
> Développement de la culture digitale des participants
> Animation interne au sein de l’agence (1 réunion toutes les 2 semaines environ)
> Valorisation des collaborateurs impliqués (sachant que la participation était sur la base du volontariat et ouverte à tous)
– Impact commercial:
> Support des équipes commerciales dans le cadre de leurs réflexions stratégiques et des réponses à des problématiques client
> Présentation directe de l’équipe du Lab à certains clients
> Création d’une base de données des partenaires centralisée et accessible à tous au sein de l’agence
– Impact d’image et de crédibilité:
> Intérêt marqué par les clients et prospects lors des présentations agence
> Création d’un cercle vertueux d’échange avec les partenaires et d’un intérêt positif à l’égard de l’agence
> Valorisation de la R&D interne de l’agence par l’association avec le MRM LAB et la possibilité de partager des prototypes sous cette bannière
> Création d’opportunités de communication et de prises de parole (Webdeux Connect image ci-dessous, presse, RP, etc.)
Le Lab 2.0: retours d’expérience et déclinabilité du concept
Ces 2 années de création et de développement du MRM LAB ont été riches d’enseignements, d’autant plus que le concept est parfaitement déclinable à tout type d’agence ou de société de conseil, en respectant quelques conditions indispensables au succès de telles expériences.
1. Le cadrage du projet et un pilotage suivi
Pourquoi le fait-on? Quelle valeur ajoutée en attend-on? Quel impact sur l’activité de l’entreprise? Interne, externe? Image, business, veille, RH…? La mécanique étant adaptable à tout type d’agences et de sociétés, une réflexion propre s’impose pour ne pas simplement reproduire ce que les autres font mais créer un projet qui nourrira la spécificité propre de chaque agence ou société.
Les objectifs à ce stade ne doivent pas nécessairement être définis au millimètre près car ce genre de projet évolue forcément en cours de route, mais si on n’a aucune idée de l’atterrissage possible on risque fort de n’aboutir nulle part, ou de laisser tomber à la première difficulté. Les objectifs qualitatifs sont importants car ils seront probablement atteints avant les objectifs quantitatifs, et c’est cela qui permettra de persévérer.
Une mise au point régulière permettra d’identifier les axes d’ajustement et a également le mérite de donner des prétextes de communication internes ou externes qu’il ne faut pas négliger.
2. Le sponsoring à la direction de l’agence
C’est une condition indispensable pour en faire un projet d’entreprise, et non pas un projet personnel ou d’une petite équipe.
3. L’engagement du leader
Si le porteur du projet n’est pas dédié uniquement à cela, ce qui est la plus forte probabilité, un engagement et une motivation fortes du leader sont essentiels car la dimension management, et plus particulièrement “community” management, est primordiale dans la réussite de ce genre de projet.
4. L’incitation à la participation des collaborateurs
Le volontariat m’avait personnellement paru une bonne base de départ pour s’assurer de la motivation des participants, mais il est insuffisant pour garantir un rythme d’avancement constant. Car tous les collaborateurs n’ont pas la même flexibilité dans la gestion de leur emploi du temps, et s’il n’y a pas d’autre motivation que la gratification de la participation, les tâches consommatrices de temps (par exemple la rédaction d’articles) sont systématiquement reportées…
Dans le même ordre d’idée, une incitation commerciale de type incentive peut être intéressante à mettre en place pour récompenser les collaborateurs et équipes qui réussissent à vendre des projets innovants: elle traduirait concrètement l’importance que cela a pour l’entreprise.
5. L’intégration au fonctionnement de l’agence
La mécanique de fonctionnement et d’animation interne doit absolument être intégrée au fonctionnement global de l’agence, car si cela nécessite trop d’efforts d’adaptation de la part des collaborateurs, la mayonnaise ne prend pas. Il faut donc adapter les principes généraux d’animation à la culture de chaque entreprise, comme la fréquence des réunions, le bon jour et les bons créneaux horaires qui ne vont pas empiéter sur les heures de production, etc.
6. Un minimum de moyens
On peut tout à fait lancer ce genre de projets sans budget, la preuve. Avec le recul néanmoins, un budget même petit défini en amont et révisé en fonction des réalisations ne peut qu’améliorer la réussite, ne serait-ce qu’en obligeant l’entreprise à rentabiliser son investissement. C’est pourquoi il peut être fort utile de se faire accompagner par un conseil externe, pour garantir une continuité et une persévérance dans l’avancement. Il peut être également intéressant d’utiliser son budget pour organiser des événements à plus grande échelle, en incluant les clients et prospects, etc.
7. Le luxe ultime: (un peu) de temps
La valeur ajoutée ne se crée pas en un jour, il serait illusoire de croire que ce genre de projets peut être monté en un mois et rentabilisé au bout d’un trimestre. Par contre il n’est pas nécessaire d’attendre des années non plus, car si le projet est bien mené l’impact des bénéfices internes sur la motivation et le moral des collaborateurs peut apparaître assez rapidement et avoir des bénéfices secondaires perceptibles sur les projets quotidiens de l’agence. C’est donc un faible investissement et un luxe fort accessible que de se donner un peu de temps, au regard des bénéfices possibles.
En conclusion, les agences oublient souvent qu’avant d’être des agences, elles sont d’abord des entreprises, et que les modèles d’innovation qui fonctionnent dans d’autres entreprises ou secteurs peuvent parfaitement s’appliquer à elles, si on s’attache à les adapter à leurs particularités de fonctionnement et de culture … Ce qui ouvre de passionnantes perspectives pour les agences qui le veulent bien!