Entretiens avec Fabrice Geffroy, IME, et Sandrine Rol, CCIP
En parallèle de la mission de Directrice du Mentorat que j’ai effectuée pendant quelques mois chez OpenClassrooms, je me suis intéressée à l’état et à l’évolution du mentorat, essentiellement en France. En ont résulté quelques entretiens intéressants à partager, dont deux sur le mentorat entrepreneurial avec Fabrice Geffroy, délégué général de l’IME France (Institut du Mentorat Entrepreneurial), et Sandrine Rol, responsable du service Formation et Mentorat à la CCIP, partenaire de l’IME.
En voici la substantifique moëlle.
Quel est le principe du mentorat entrepreneurial ?
Le mentorat entrepreneurial développé par l’IME s’inspire directement du modèle d’affaire québécois, importé par Dominique Restino, fondateur de l’IME, en 2007 en France, et repose sur le principe suivant : un entrepreneur accompagne un autre entrepreneur. Cette condition est stricte pour les 2 parties.
L’IME s’est créé sur le constat qu’il n’y avait pas d’accompagnement pour les entreprises en forte croissance – hors startups débutantes. En France, le déficit de PME et d’ETI surtout étant important, l’IME se positionne sur l’accompagnement d’entreprises réalisant plus d’un million d’euros de chiffre d’affaires ou ayant plus de 10 salariés.
En moyenne, les entreprises accompagnées aujourd’hui à l’IME réalisent 1,1 Mio € de CA. 500 entrepreneurs sont passés par le dispositif en 10 ans.
Comment fonctionne le mentorat développé par l’IME ?
Principes du programme
Le programme consiste en un accompagnement mensuel de 18 mois, pendant lequel mentor et mentoré se rencontrent une demi-journée (2 à 3 heures), une fois par mois en moyenne. Les échanges sont confidentiels et censés reposer sur un jeu de questions/réponses, mené par le mentor. L’absence de conseils est le mot d’ordre, même si personne ne sait véritablement ce qui se discute en séance.
Le mentorat, insiste Fabrice Geffroy, est tout sauf du coaching ou du conseil : ce n’est pas pour dire « fais ceci, fais cela », ce n’est pas pour apporter des livrables. Les mentors sont des chefs d’entreprise de taille intermédiaire, entièrement bénévoles : ils travaillent sur le savoir-être, sur la posture, sur les problématiques liées à l’entrepreneur et pas forcément à l’entreprise.
Contrairement à un coach ou à un consultant, qui est rémunéré et qui a été très rarement chef d’entreprise.
Le principe du mentorat est que le mentor n’a pas de réponses : il n’a que des questions. Par le jeu des questions, le mentoré doit trouver la solution par lui-même.
Ce qui nécessite de former les mentors à ce type d’accompagnement, et cela ne s’avère pas toujours facile avec des entrepreneurs chevronnés peu disponibles ! L’IME organise ainsi des sessions avec d’anciens mentors ou des « serial » mentors, pour « former » les nouveaux.
Critères d’admission
Le comité d’admission au programme est constitué d’anciens mentorés, de mentors, ainsi que de partenaires (forcément un peu intéressés, puisqu’on y retrouve également des fonds d’investissement). Un dossier préalable est nécessaire : les 2 derniers bilans de l’entreprise, une analyse financière, et une forte croissance !
Les critères d’admission qualitatifs sont également importants : les mentorés ne doivent pas être sûrs d’eux, et démontrer une capacité d’écoute et de remise en question ; sinon ils ne sont pas acceptés.
L’IME est une association nationale, avec des entités régionales ; Paris est la plus importante.
Règles de fonctionnement
Un dossier sélectionné est d’abord proposé à un mentor ; une fois que le mentor a accepté, son profil est proposé au mentoré. Ils réalisent ensemble deux à trois rendez-vous, et s’ils fonctionnent bien ensemble, ils signent ensuite une Charte de déontologie qui scelle leur engagement réciproque. L’IME bénéficie aujourd’hui d’une base de données importante de 180 mentors entrepreneurs, pour le matching initial.
Les mentors ne sont pas du même secteur d’activité que leur mentoré, ils ne peuvent pas investir dans l’entreprise pendant les 18 mois d’accompagnement ni jusqu’à 2 ans après, pour éviter tout conflit d’intérêt.
Dans la Charte, trois à quatre thèmes principaux sont définis (par exemple, l’international, les RH…), pour fixer un cadre de démarrage. Néanmoins, le bilan réalisé à la fin du programme fait souvent ressortir des thèmes différents qui ont été traités, sans que cela ne pose de problème majeur. L’IME fait un suivi tous les trois mois, en s’assurant du suivi des engagements par les deux parties.
La participation au programme, si elle est bénévole pour les mentors, est payante pour les entrepreneurs mentorés : entre 2000 euros et 5000 euros les 18 mois d’accompagnement, selon le chiffre d’affaires de l’entreprise, assortis d’une adhésion annuelle de 900 euros à vie à l’IME pour devenir membre du Club, qui organise une quinzaine d’événements par an (réunions de partage d’expérience entre anciens et nouveaux mentors, événements thématiques avec des partenaires, par exemple sur la Blockchain avec une grande banque française).
Pour les moins de 30 ans, un programme similaire a été conçu, sous l’égide du Moovjee (Mouvement des Jeunes Entrepreneurs), à un tarif moindre (300 €) et avec un accompagnement complémentaire d’experts à travers la plateforme Moovjee.
Quels résultats ?
En 10 ans, 500 entrepreneurs – soit environ 350 à 370 entreprises – sont donc passés par le dispositif. Selon une grande enquête réalisée par l’IME à cette occasion, ces entreprises avaient réalisé +25% de CA en 2017.
Du point de vue de la satisfaction des entrepreneurs participants, l’étude affiche les résultats suivants :
- 80% des mentorés ont envie de refaire du mentorat, pour traiter d’autres enjeux de croissance
- 70% continuent à voir leur mentor après
- 80% veulent devenir mentors ( Ils sont d’abord orientés vers le Moovjee).
Du côté des mentors, l’intérêt est multiple : ils découvrent de nouveaux business models ; souvent entrepreneurs chevronnés, ils ne sont plus dans l’opérationnel, et replongent grâce à cette relation de mentorat quelques années en arrière ; ils ont également envie de redonner ce que d’autres leur ont apporté.
Quels enjeux et contraintes de développement ?
97% des entreprises en France ont moins de 20 salariés. Le problème n’est donc pas trouver des mentorés ! Le vrai enjeu repose du côté des mentors : sur l’intérêt et la disponibilité d’entrepreneurs chevronnés répondant aux critères pour devenir mentors. Ce qui pose un vrai enjeu de « scalabilité » pour l’IME, car ces profils ne courent pas les rues !
Le mentor « bénévole » est une garantie de confiance : il a une obligation de moyens, pas de résultats. Si on le paie, l’obligation va forcément se transformer en une obligation de résultats, car le mentoré risque « d’en vouloir pour son argent »… Mais ce principe peut aussi être une limite potentielle au développement du mentorat.
L’enjeu de communication est également important pour l’IME : le terme « mentorat entrepreneurial » est galvaudé selon Fabrice Geffroy, utilisé à toutes les sauces, notamment dans le cadre de programmes où des cadres de grands groupes accompagnent des startups.
Face à toutes ces contraintes, l’IME a un enjeu de modèle économique et de développement : comment faire du volume en tenant compte de tous ces difficiles équilibres à maintenir ? Or le principe des Chambres de commerce est de proposer en priorité des services bénéficiant à une majorité d’entreprises du territoire ; les entreprises en hyper-croissance n’en font pas forcément partie.
Ce qui a amené l’IME à se rapprocher de l’accélérateur de la BPI pour en accompagner une quinzaine d’entreprises par an, mais également à développer des partenariats avec d’autres pays, avec l’Etat, avec des régions… tel que le Réseau M, une licence pour former et accompagner des structures telles que les Chambres d’agriculture sur du mentorat.
A suivre !
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