La réputation digitale ou le concept de l’arbre: quelle forêt cache-t-il?

Pourquoi il ne s’agit ni de réputation ni de digital, mais de marques faisant leur travail.

Avec l’explosion des médias sociaux, le concept d’e-réputation ou de gestion de son identité numérique devient une problématique forte pour les marques et les entreprises, et un nouveau marché de spécialistes de la réputation numérique est en train d’émerger, des éditeurs de logiciels aux consultants et agences spécialisés. Mais que ferez-vous une fois que vous aurez investi quelques dizaines voire centaines de milliers d’euros dans de tels équipements ? Qui fait le travail ? Quels prestataires sont les plus pertinents ? S’agit-il uniquement de RP ?

Un angle d’analyse plus large permet d’identifier, à partir de la manière dont on définit la notion de « réputation », une perspective différente pour adresser le sujet, et partager les responsabilités.

 

Que recouvre la notion de « réputation » d’une marque ?

Une définition intéressante de la réputation est donnée par Bertrand Cesvet dans Conversational Capital: « la réputation résulte de la proximité entre 3 éléments :

  • Ce que vous ETES
  • Ce que vous DITES que vous êtes
  • Ce que les gens DISENT que vous êtes »

Ce que vous êtes correspond aux produits, services et fonctionnement propres de l’entreprise. Cet élément est de la responsabilité directe de l’entreprise et de ses différents services (marketing, communication, RH, achats…)

Ce que vous dites que vous êtes correspond à l’image que l’entreprise souhaite donner d’elle-même. C’est à la fois du ressort de l’entreprise et de ses agences de communication et relations publiques.

Ce que les gens disent que vous êtes correspond à la manière dont les usagers de l’entreprise la décrivent : consommateurs, clients, partenaires, employés, concurrents, actionnaires…

Plus ces 3 éléments sont proches, plus l’image et la réputation de l’entreprise sont cohérentes et dans la continuité. Plus ces 3 éléments sont éloignés, plus il y a rupture entre la réalité, le déclaratif de l’entreprise et la perception de ses usagers.

Gérer sa réputation consiste donc à gérer l’ensemble de ces trois éléments.

 

Qu’ont changé Internet et les médias sociaux ?

Internet n’a pas changé la réalité de l’entreprise : ce qu’elle est.

Il a par contre perturbé la gestion traditionnelle de sa communication, grâce à la convergence de deux facteurs principaux :

– Facilité d’expression pour tous (blogs, forums, médias sociaux, fonctionnalités d’interactivité type « poster vos commentaires », viralité, etc.).

– Prédominance des moteurs de recherche et de l’agrégation autour de mots-clés, qui centralisent des informations de type différent (opinion sur un produit vs témoignage d’un ancien employé) au même endroit pour une entreprise donnée

 

Comment gérer sa réputation dans un monde digital et interactif ?

Gérer sa réputation aujourd’hui pour une entreprise, signifie gérer les 3 éléments de la réputation en intégrant les spécificités des médias numériques :

Ce que l’entreprise est :

Fondamentalement, une entreprise qui est cohérente avec elle-même n’a pas besoin de « gérer » sa réputation : celle-ci découle de source. La réputation étant la partie visible de l’iceberg, un problème à ce niveau doit surtout alerter l’entreprise sur les dysfonctionnements internes auxquels il faut remédier (on imagine bien qu’une vague de suicides n’est pas un problème de communication, par exemple…).

En ce sens, Internet devient un facteur de meilleure intégration interne au sein des entreprises entre les services communication, marketing, ventes et SAV (service après-vente) – et RH (ressources humaines)! Internet oblige également à reconsidérer les « systèmes de valeur » internes : par exemple, le SAV. Considéré très souvent ces dernières années comme le parent pauvre, le SAV doit être revalorisé comme une clé de la réputation de l’entreprise. Revalorisation qui ne peut se faire sans repenser (et non re-panser) l’ensemble du fonctionnement de l’entreprise et son système de valeurs, si on veut éviter les « pansements » purement cosmétiques et peu durables. Par exemple, un service client qui devient un élément stratégique de l’entreprise peut-il être sous-traité pour optimiser les coûts ?

Ce que l’entreprise dit qu’elle est :

A ce niveau, le changement principal est que la communication de l’entreprise devient potentiellement du ressort de tous ; ce n’est plus le territoire réservé du responsable de la communication et de ses agences. 2 conséquences majeures :

– Chaque employé de l’entreprise étant un ambassadeur, un porte-parole ou un détracteur potentiel, la formation des employés à l’impact d’Internet et à ses différents types d’utilisation est fondamentale.

– La formation des dirigeants s’impose également, car désormais la prime est à la « transparence » : les dirigeants qui ne cherchent pas à camoufler les problèmes mais jouent la carte de la « transparence » traversent les situations difficiles mieux que les autres.

Ce que les gens disent de l’entreprise :

– Exit la notion de « contrôle » de l’information, dans le sens « On / Off » : j’essaie de faire taire les rumeurs désagréables, ou je les remplace par des informations positives. Ce qui marchait avec les médias sans « historique », ne fonctionne plus sur Internet où toutes les informations laissent une trace et restent accessibles au même niveau quelque soit leur date de publication.

– Internet oblige les entreprises à changer de paradigme ; dans un univers où l’information ne disparaît pas, il faut faire en sorte que ce soit l’information positive qui ressorte en premier, ou qui soit dominante. Ce qui signifie changer fondamentalement de stratégie de communication et de relation avec les publics (le sens historique de RP), si l’on souhaite des effets durables et non purement ponctuels : il ne s’agit plus d’émettre des communiqués de presse et d’attendre qu’ils soient relayés, mais d’entretenir une relation durable et d’échange avec des communautés d’influenceurs, par exemple, ou de laisser ses employés s’exprimer comme ambassadeurs (ex : IBM blogs, Microsoft…).

 

Qui fait quoi?

La prise en compte des 3 éléments de la réputation permet de délimiter clairement le territoire d’intervention des annonceurs et des agences et prestataires et d’éviter au passage des erreurs fréquentes pour cause de vue partielle du problème :

La réputation sur Internet n’est pas un Graal mystérieux que seuls les spécialistes du web peuvent maîtriser. La réputation est d’abord du ressort de l’entreprise et de la marque, et de sa direction. Avant d’être un problème de communication, c’est un problème de management. C’est une alerte sur un dysfonctionnement, et en ce sens, c’est le meilleur feedback consommateur qui soit (s’il est pris en compte). La nécessité d’intégrer les spécificités d’Internet ou des nouveaux médias ne doit pas réduire le problème à cette seule dimension. Avant d’appeler, paniqués, un « spécialiste » des médias sociaux, à la direction de faire son analyse et le point sur ses objectifs.

La réputation n’est pas un saucisson qu’on peut répartir entre une douzaine d’agences et de spécialistes différents. Une somme de sons dissonants n’a jamais fait une mélodie harmonieuse.

Un chef d’orchestre est nécessaire, qui doit nécessairement se situer au niveau de la direction de la communication d’un annonceur, en ligne directe avec la présidence. Certains annonceurs l’ont bien compris, mais beaucoup d’autres ont tellement sous-divisé leurs équipes marketing et communication que les responsabilités sont diluées et réparties en micro domaines d’intervention.

La gestion de la réputation peut donc nécessiter d’abord une réorganisation interne ou une redéfinition de la zone d’intervention interne de la direction de la communication (interne, RH, SAV…)

Cela prend du temps. Car finalement, gérer sa réputation équivaut à gérer sa RELATION à ses différents publics et usagers, et une relation solide et durable ne se construit pas en un jour. Les bons prestataires seront donc les spécialistes expérimentés, capables de transformer une vision d’entreprise en projet relationnel tout en maîtrisant les spécificités du web : par exemple, interrogez votre prestataire sur son expérience en matière de construction ou d’animation de communautés (les journalistes peuvent être une communauté), dans la durée. Intéressez-vous également aux termes de l’échange : sur quel mode s’est construite cette relation ? Sur un échange de contenus, ou de cadeaux ? Le premier est un bon indicateur, le second beaucoup moins…

 

En conclusion, l’émergence du concept d’identité numérique ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt, et le prétexte à des expérimentations hasardeuses avec des spécialistes improvisés pour être dans le vent. La réputation d’une marque ou d’une entreprise n’est ni plus ni moins que son capital immatériel, comme l’analyse Bertrand Cesvet dans Conversational Capital. Cela a le grand mérite de réinviter les dirigeants d’entreprise et de marque dans la relation avec leurs clients, et de les mettre en droite ligne face à leurs usagers, et donc face à leurs responsabilités : c’est d’abord à eux qu’il faut faire appel pour gérer la réputation tout court d’une marque, et la stratégie à avoir sur Internet en découlera de source. Un bouche-à-oreille positif généré par une communauté d’usagers engagés en sera la partie visible et presque automatique si l’ensemble du travail de la marque ou de l’entreprise est bien fait. Les gagnants ne seront pas les mieux costumés, ce seront ceux qui auront su écouter et tenir leurs engagements, dans le monde réel dans lequel nous vivons tous.

 

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