La personnalisation, un des fantasmes récurrents du marketing, est de nouveau sur toutes les lèvres et dans tous les projets, grâce aux nouvelles technologies qui permettent une capacité de ciblage et une connaissance client – théoriques – inégalées jusque-là.
Mais est-ce la meilleure manière de servir et de fidéliser le client – qui n’a souvent rien demandé, contrairement aux mêmes fantasmes des mêmes responsables marketing -, ou y’ a-t-il d’autres manières plus intéressantes d’exploiter le « big data » en créant de la valeur ajoutée pour la marque et l’entreprise ?
Je trouve beaucoup plus intéressant, à titre personnel, d’explorer les « services de personnalisation » que le « big data » permettrait d’offrir aux clients : plutôt que de leur envoyer des offres « finies » sélectionnées algorithmiquement en fonction de leur comportement passé, pourquoi ne pas leur donner accès à des informations ou des fonctionnalités qui leur permettraient d’avoir un service plus personnalisé, selon leurs propres critères (actuels et/ou en prévision de besoins futurs, non passés) ?
2 cas d’application concrets pour illustrer ce propos :
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Catalogues en ligne :
C’est ce premier exemple qui m’a inspiré ce billet, car il est avéré, tout en n’étant pas intuitif : il est issu de l’expérience de la société Bee Buzziness, qui intervient dans la virtualisation de publications initialement prévues pour l’impression, et leur enrichissement numérique. Une des fonctionnalités d’enrichissement qu’elle propose autour d’un document est la capacité, pour un lecteur donné, de créer sa propre version du document, en sélectionnant les pages ou parties qui l’intéressent le plus. A première vue, on peut se demander qui va vraiment s’amuser à faire ça ? Est-ce vraiment pertinent pour un catalogue promotionnel de supermarché, par exemple ?
Les propres concepteurs de la solution étaient eux-mêmes un peu sceptiques sur son usage, et pourtant, ayant récemment appliqué cette possibilité au rapport annuel en ligne d’un grand opérateur télécom, quelle n’a pas été leur surprise de constater que 90% des lecteurs – oui, 90% – avaient utilisé cette fonctionnalité pour créer leur version personnelle du rapport ! Ils avaient sélectionné uniquement les parties qui les intéressaient, forcément pas les mêmes selon qu’ils étaient journalistes, investisseurs, étudiants ou actionnaires… tout en ayant un tronc commun minimum de « pages obligatoires » présentes dans chaque version et définies en amont par le marketing (une vingtaine de pages sur les 300 du rapport entier).
Appliqué à un catalogue promotionnel de produits de grande consommation, par exemple, quel serait l’impact de cette approche ?
Un double impact à mon sens, à la fois en valorisant un service concret et tangible pour le consommateur final, tout en simplifiant considérablement la gestion, le coût et la complexité de la « personnalisation » pour l’entreprise.
D’abord côté service client : en ayant la capacité de personnaliser lui-même son catalogue, le consommateur perçoit un service visible quand le contenu déjà ciblé ne l’est pas (on ne se rend compte qu’on ne reçoit pas le même contenu que les autres que quand l’occasion de comparer se présente ! Et souvent, cela crée plus un sentiment de défiance que de valorisation, par exemple dans le tourisme ou les transports).
Ensuite côté gestion interne : envoyer des catalogues personnalisés à chaque client, ou à chaque segment de clients, requiert beaucoup plus d’efforts et de moyens techniques et financiers que de développer des fonctionnalités qui permettent à chacun de personnaliser son catalogue en ligne, depuis son ordinateur ou sa tablette. Mais est-on seulement sûr que l’hyper-personnalisation de l’offre sera rentable à la hauteur de l’investissement ? Car le catalogue est le support d’un marketing de l’offre, pas de la demande (quand on sait ce qu’on veut, rien ne vaut un site e-commerce). Quand on prend le temps de consulter un catalogue, c’est qu’on reste ouvert aux propositions, on a envie de découvrir autre chose que ce qu’on a a priori en tête… or une offre hyper-personnalisée ne crée ni de surprises ni d’accidents, elle ne raconte finalement que la même histoire que la précédente. Elle peut s’avérer efficace en augmentant le panier moyen à court-terme, comme toutes les approches de « mécanisation », mais dégrader beaucoup plus fortement la valeur de proposition de la marque ou de l’enseigne à plus long terme.
- Sites e-commerce et programmes CRM :
Second cas d’application, les sites e-commerce et leur programme de CRM. Les e-commerçants ont de l’or dans leurs bases de données, pourtant dès qu’ils acquièrent une taille un peu respectable ils se lancent dans des programmes de fidélisation d’une inefficacité avérée (je ne compte plus le nombre d’entreprises qui avouent être enchaînées à leur programme de fidélisation et qui ne savent plus comment s’en sortir, j’écrivais déjà sur cette question il y a plusieurs années), ce qui ne révèle que leur manque d’imagination et d’intelligence dans la compréhension de leurs consommateurs. Vous pensez vraiment, M. le commerçant, qu’en associant des points à des produits qui ne m’intéressent pas, que vous allez m’obliger à les acheter et que ça va me fidéliser ? Quand ça fait 5 ou 10 ans que je viens régulièrement chez vous, et que vous n’aviez pas de programme de fidélisation ?…
Alors que si vous me donniez accès, dans mon espace client en ligne, à des services qui me permettaient de personnaliser moi-même mon expérience d’achat, en me simplifiant la vie sans décider à ma place de ce que je veux consommer, vous verriez combien c’est fidélisant… et plus intéressant financièrement pour vous. Pourquoi ne pas proposer aux clients de véritables tableaux de bord de leurs achats, avec la possibilité de se créer des alertes, des analyses comparées, et y appliquer des règles promotionnelles où le client aurait son mot à dire ? Laisser le client faire sa propre « business intelligence », d’une certaine manière, plutôt que la faire pour lui sans qu’il n’ait son mot à dire, reviendrait certainement beaucoup moins cher, et apporterait une valeur ajoutée indéniable à l’entreprise, celle de la véritable co-création, une co-création de l’expérience de service attendue, pas du produit fini !
On peut imaginer de nombreux autres cas d’application de ce principe, qui recèle une grande richesse pour les entreprises qui veulent bien s’y intéresser. Il suffit simplement de vouloir véritablement créer de la valeur ajoutée pour ses clients… ce qui est loin d’être acquis, les clients ne pesant pas toujours bien lourd face aux actionnaires. Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de clients ?…