Résumé : Le mentoring est une pratique de transmission d’expérience riche de potentiel, notamment pour les femmes, qui souffrent souvent de leur manque de confiance en elles et de leur attitude de bonne élève dans un milieu professionnel dont les clés d’évolution sont sur un autre plan. Au-delà de la transmission de « techniques », c’est l’expérience fondamentale de la démystification de l’entreprise et de son fonctionnement qui doit être transmise par le mentor, seule condition à une véritable réussite qui repose sur une vision réaliste de soi et des autres, et non sur des illusions de propagande qui ne font qu’entretenir les rapports de force actuels.
Cela fait plus de dix ans que j’accompagne, à titre bénévole et extra-professionnel, entrepreneurs, porteurs de projet et personnes en transition professionnelle, dans la réalisation de leur projet. Au départ comme bénévole au sein du club Entrepreneurs de mon ancienne école, aujourd’hui au sein d’un réseau de Business Angels, et entre les deux et tout du long, au sein de réseaux professionnels ou au hasard des opportunités et rencontres, avec d’anciens collègues, d’anciens de mon école, etc.
J’ai donc une pratique assez extensive du mentoring au sens très large du terme, et au sens plus strict de la participation à trois reprises, en tant que mentor, au programme Mentoring très bien structuré du réseau EPWN. Les bénéfices « évidents » du mentoring sont largement expliqués et développés dans toute la littérature à ce sujet, je ne reviendrai donc pas dessus, et souhaite plutôt partager ici mon expérience personnelle de mentor (femme), ayant affaire à des « mentees » (personnes sollicitant le mentoring) exclusivement féminines également, et les constats et conseils que j’ai pu en tirer, en espérant que cela puisse servir à d’autres… (femmes ou hommes, ne soyons pas sectaires ! :))
Premier constat : le manque de confiance en soi féminin, un processus éducatif et culturel à renverser
La première chose qui m’a frappée en participant au programme de l’EPWN est le déficit permanent de mentors par rapport aux demandes de mentoring : il y a toujours plus de femmes demandeuses d’accompagnement, que de femmes souhaitant être mentors. Cette situation ne reflète absolument pas une réalité « objective » (pas assez de femmes « compétentes » ou expérimentées pour être mentors, par exemple), mais une réalité subjective, qui correspond à la perception que les femmes ont d’elles-mêmes dans le milieu professionnel et par rapport à leur carrière : elles se mettent plus facilement en position d’infériorité ou de soumission qu’en position de domination, et dans une posture d’apprentissage (= de bonne élève) plutôt que de transmission (= de confiance en soi). C’est un sentiment qu’on a pu ressentir presque toutes, (surtout si on est animée d’un peu d’ambition professionnelle), résultat de décennies et de siècles de domination masculine avec tout le processus éducatif et culturel qui l’entretient… Mais pour la « jeune » mentor de 35 ans que j’étais, lors de ma première participation, c’était néanmoins très surprenant car une bonne partie des mentees n’étaient pas des jeunes filles (ce que j’avais spontanément imaginé) mais des femmes expérimentées et généralement plus âgées que moi, à des postes à responsabilités… Ce qui laissait entrevoir que, même pour ces cadres bourgeoises, bien habillées et titrées, d’apparence sûres d’elles-mêmes, l’évolution professionnelle était – est encore – un processus d’apprentissage un peu comme à l’école, avec une bonne note attendue à la fin… Or et c’est mon retour d’expérience personnel, c’est justement le côté « bonne élève » qui dessert le plus les femmes dans l’évolution de leur carrière professionnelle, car le pouvoir ne se donne pas comme une note, il se conquiert et se prend, c’est tout. Et ça, l’école ne l’enseigne pas, et ce n’est pas forcément lié aux compétences « techniques » (de métier) qu’on peut avoir, loin s’en faut !
Deuxième constat : les attentes par rapport au mentoring
Dans la foulée de ce premier constat, une seconde surprise pour moi était le type d’attentes formulé par les mentees. Mon souvenir n’est pas représentatif statistiquement, car il ne se rapporte qu’à la durée de ma participation personnelle, mais j’étais néanmoins étonnée du nombre de demandes d’accompagnement autour de problématiques de « work-life balance » ou de « confiance en soi » (et thèmes liés). Comme moi-même ne souhaitais intervenir que sur des thématiques d’évolution ou de transition professionnelle, je n’ai pu creuser davantage ces demandes en pratique, mais à mon sens elles reflètent encore cette posture de « dominées » que les femmes ont par rapport au milieu professionnel et par rapport aux hommes, et la manière dont elles subissent, probablement plus que ces derniers, le discours propagandiste général autour du nécessaire sur-investissement en temps passé au travail pour évoluer. Il est évident qu’on ne peut, parfois, à certains postes, dans certains secteurs, éviter des pics de travail ou des horaires trop chargés ; mais ériger cela en norme, et en condition nécessaire à la réussite, est une absurdité, particulièrement entretenue en France, et les femmes subissent cela de plein fouet, notamment toutes celles qui sont seules avec des enfants à charge, ou n’ont pas un compagnon aussi égalitaire dans les actes que dans le discours… Or le sur-investissement « quantitatif » n’aide en rien à évoluer ou à s’élever, il empêche au contraire de « décoller » son nez du guidon et du terrain opérationnel, quand ce sont les compétences relationnelles et de vision stratégique qui permettent d’aller plus haut et plus loin. L’équilibre « travail-vie personnelle » ou « confiance en soi » sont bien sûr des objectifs personnels tout à fait légitimes, mais les exprimer comme objectifs prioritaires ne fait que révéler une attitude craintive à l’égard du milieu professionnel, quand l’expression d’objectifs d’évolution révèle une attitude volontariste, clé de voûte de toute évolution finalement, qu’elle soit professionnelle ou personnelle. La confiance en soi ou l’équilibre de vie sont au moins aussi souvent des conséquences de nos actes volontaires et volontaristes, que des conditions préalables à la réalisation de ces actes…
Troisième constat : la nécessaire décomposition des mythes de l’entreprise
Au bout des deux années et quelques mois de mentoring passés dans ce programme, je me suis interrogée sur les leviers que j’avais utilisés pour aider mes mentees dans l’évolution qu’elles souhaitaient avoir. Au-delà de la transmission d’expériences liées aux situations professionnelles abordées ensemble (valoriser son parcours et son CV, s’affirmer face à son patron ou en entretien d’embauche, gérer des relations conflictuelles, chercher un nouveau travail, avoir plus de responsabilités, etc.), je me suis rendue compte que j’avais surtout partagé une expérience fondamentale, qui est le socle de tout le reste, du moins de mon point de vue : la nécessaire démystification du fonctionnement de l’entreprise, tout simplement. Je ne sais pas si elles l’ont perçu ainsi, je l’espère du moins, mais c’est ce constat fondamental qui ressort à mes yeux, et qui se doit d’être la première et principale chose qu’un mentor doit partager avec son/ses mentee(s). Car l’entreprise est une entité qui ne s’apprend pas à l’école, dans sa complexité sociale, dans sa jungle de relations et de rapports de force et de pouvoir, dans son machisme (et la France est un pays très machiste dans les faits), dans ses réseaux internes et externes, dans ses ressorts propres d’évolution, de stagnation ou d’éviction… Ce qui n’en fait pas un endroit pire ou meilleur qu’un autre, mais simplement un endroit qu’il faut apprendre à connaître tel qu’il est, et non pas tel qu’on voudrait nous faire croire qu’il est. Le réalisme est le début de l’optimisme, pour paraphraser Antonio Gramsci, et cela signifie, pour de nombreuses femmes, un passage obligé par l’enterrement des illusions de jeunesse et de débutante, passage pas toujours très agréable car nécessitant une forte remise en question… Or il est plus facile de s’abrutir de travail en se nourrissant d’illusions, que de lever le pied en remettant en question son propre fonctionnement, ses propres motivations, son propre comportement, pour passer un cap. Car le cap est d’abord et toujours mental avant d’être réel : en s’obligeant à faire évoluer son attitude dans l’endroit même où l’on a des difficultés, on se prépare plus sûrement une évolution, même ailleurs, qu’en fuyant pour finalement souvent reproduire le même comportement problématique ailleurs.
Dernier constat : la nécessité de la confiance et de l’engagement mutuels
Pour aboutir à un résultat positif, une relation de mentoring se doit d’être une relation de confiance et d’engagement mutuels : sous ces banales affirmations, se cache une réelle difficulté d’exécution, car ce sont des éléments qui ne se décrètent pas. Ce sont par contre des dimensions qui se préparent, par l’équipe en charge du programme de mentoring, et c’est un travail de « matching » et de briefing long et ingrat mais absolument nécessaire pour initier la relation dans des conditions favorables (en ce qui concerne mon expérience personnelle à l’EPWN, ce travail était remarquablement fait et mérite d’être salué). Une fois le terrain préparé, le reste est dans les mains du couple mentor-mentee ; le mieux pour éviter toute réticence ou manque de franchise est donc d’éviter de mettre ensemble des personnes trop proches professionnellement, car comment s’exprimer en toute confiance sinon ? Ce qui pose la question de la pertinence ou de l’efficacité des programmes de mentoring en entreprise, qui ne peuvent prétendre à l’instauration d’une telle relation de confiance à mon sens. Ils peuvent favoriser une mobilité interne en créant une sorte de parrainage, qui est peut-être un outil utile, mais loin de receler le potentiel d’un véritable mentoring…
En conclusion, Mesdames (et Messieurs, car cela peut s’appliquer à vous également), vous avez plus d’expérience à partager que vous ne le croyez, et votre avenir est davantage dans vos mains qu’on ne vous le fait croire… Substituons la volonté à la crainte, l’intelligence à l’abrutissement, la créativité au mimétisme, la transmission au discours de communication, et le milieu professionnel, à défaut d’être plus juste, sera au moins plus égalitaire dans les opportunités qu’il propose, et moins obscur dans les mécanismes dont on dispose !
Merci Youmna, ton analyse rejoins la notre (EPWN, responsable du mentoring pendant 4 ans), en revanche je te rassure il y a moins de demande sur le work life balance et sur la confiance en soi. Nous sommes plus sur des changement de carrière, d’activité ou des problématiques de relations professionnelles.
Un autre chose (et tu le montres)toutes celles qui ont été mentor disent qu’elles ont énormément appris de leur relation de mentoring et que cela les a aussi fait avancer.
Enfin pour moi tout le monde peut être mentor quelque soit l’age et l’expérience pour une mentee qui n’a pas la même expérience.
Pour le mentoring interne, il peut être utilisé pour des nouveaux entrants et faciliter ainsi leur intégration, et comme tu le dis éviter les liens hiérarchiques, dans ce cas une charte d’éthique peut être approuvée sur le non débauchage !
Voilà quelques réflexion sur ton article fort intéressant.
A bientôt
Merci Martine pour tes commentaires! Effectivement je précise que mon témoignage est subjectif, il est personnel et n’a pas vocation à être « statistiquement » représentatif… Par ailleurs je confirme qu’être mentor est très enrichissant, c’était le propos sous-jacent de mon article et je ne l’aurai pas fait 3 fois de suite sinon… 🙂 Youmna
Youmna,
Excellent post comme tjrs…
Belle prise de hauteur et bon retour de pratique sur votre « learning by doing » respectueux, clair et positif.
Signé :
1 de ces hommes qui parlent plus qu’ils ne changent leurs pratiques :o))mais qui en sont conscients ….
Bonjour Thierry,
Merci pour votre commentaire, je craignais un peu que cet article très orienté « femmes » ne soit pas intéressant pour la gent masculine, et la preuve que non… du moins pour un de ses représentants! 🙂
Bien à vous,
Youmna
bonjour Youmna,
votre article est très intéressant, comme toujours,
je vais le faire lire à mes filles, pour qu’elles sortent un peu plus les dents dans leur future vie professionnelle.
merci de ce partage d’expérience
FRançoise
Bonjour Françoise,
Merci de votre commentaire. L’entrée dans la vie professionnelle n’est effectivement pas simple pour les jeunes aujourd’hui, et les jeunes femmes ont intérêt à vite s’endurcir et oser exprimer leurs envies à mon sens. Mais l’ambiance générale ne s’y prête pas et la peur du chômage est souvent utilisée de manière insidieuse par les entreprises pour leur faire croire que la soumission est la seule alternative pour rester en poste… Il faut apprendre à tracer son chemin avec optimisme et combativité, mais il y a tellement de choses possibles et à faire qu’on ne peut que leur souhaiter d’y foncer la tête baissée! 🙂
Bien à vous,
Youmna