(Article originellement publié dans le Journal du Net)
Résumé: Dans la bataille du e-commerce et de la distribution physique, on attribue généralement la qualité du service client aux magasins: proximité, reconnaissance, expertise des vendeurs, relation humaine, conseil… Or le e-commerce a développé des services plébiscités par les consommateurs et qu’ils ne retrouvent pas en magasin.
Quels sont ces nouveaux benchmarks du service client en e-commerce, et quelles armes pour le retail physique ?
Dans la bataille du e-commerce/distribution physique, on attribue généralement la qualité du service client aux magasins: proximité, reconnaissance, expertise des vendeurs, relation humaine, conseil… Or le e-commerce a développé des services plébiscités par les consommateurs et qu’ils ne retrouvent pas en magasin.
Les atouts du web : ciblage et précision de service, dépassement des attentes clients
La force principale des e-commerçants, sous l’impulsion majeure d’Amazon, a été de créer progressivement un niveau de service d’une grande précision, grâce à un bon usage de la technologie et des données comportementales des clients. Face à des clients sans attentes particulières puisque sans matière à comparaison, cette richesse de serviceS a construit progressivement un nouveau référentiel de Service recouvrant de nombreuses dimensions plébiscitées par les consommateurs :
* La reconnaissance du client : l’accueil personnalisé du type « Bonjour Madame X, Monsieur Y… » dans l’espace client, l’achat express en 2/3 clics sur reconnaissance du client.
* La mémorisation du comportement d’achat : historique d’achat, dernières listes faites, dernières commandes réalisées.
* Le conseil personnalisé : les recommandations d’achat selon l’historique d’achat ou de navigation.
* L’assistance à l’achat : paramétrage d’alertes, de préférences, préparation de wish lists… mais également les FAQ, les agents virtuels, les avis consommateurs, les forums en ligne, les services de tchat qui se développent.
* La réactivité et la traçabilité du SAV : délais de réponse de plus en plus courts (en moins d’une demi-heure pour certains e-commerçants), services de tchat instantané, suivi en quasi temps réel des commandes, bonne gestion des réclamations et des mauvaises expériences d’achat…
Dans un contexte de départ apparemment déshumanisé, puisque l’e-consommateur traite des informations tout seul devant son écran, ce marketing de précision a réussi à créer un service très personnalisé et d’autant plus générateur de satisfaction que l’attente de départ est faible sur cette dimension : ~65% de confiance dans l’e-commerce selon la Fevad, contre ~40% en moyenne dans la distribution classique selon l’observatoire de la confiance Obsoco Kuryo.
A l’inverse, la grande distribution physique (forte de son statut) a négligé ce traitement qualitatif de la relation ‘’physique’’ au profit d’une industrialisation du commerce. Les distributeurs ‘’brick and mortar’’ doivent donc faire face à un niveau d’attente de service élevé, et de plus en plus dans la ‘’frustration’’. Car dans l’inconscient collectif le référentiel de qualité était plutôt lié au commerce physique. Sauf qu’il est en fait lié au commerce de proximité, c’est-à-dire un commerce de quartier, avec un personnel très limité et permanent, qui a les moyens temporels de connaître progressivement sa clientèle et d’adapter son service aux caractéristiques de chacun, du moins des fidèles.
Ce n’est pas tant la dimension physique qui est le premier levier de ce service client personnalisé, que la combinaison de 3 éléments : taille réduite du commerce qui limite le flux, récurrence de visite des clients et permanence des employés.
Or la grande distribution combine plutôt les 3 éléments opposés : vaste espace qui peut gérer beaucoup de flux, beaucoup de clients réguliers mais aussi d’irréguliers, et une permanence de plus en plus limitée des employés (quand il y en a !), avec l’impact que l’on sait sur l’expertise et la qualité de conseil.
Comment, dans un tel contexte, alors que l’e-commerce vient challenger les magasins en leur sein même via le mobile (showrooming), les enseignes à réseau peuvent-elle reconquérir qualitativement leurs clients ?
Comment revaloriser le service client dans le retail physique ?
Le contenu (l’offre, physique ou dématérialisée), la donnée (données internes type stocks ou prix, historique client) et l’humain (vendeur et/ou client) sont au cœur de cette problématique : selon le mix des trois qu’une enseigne donnée choisit d’investir, la stratégie de service client ne sera pas la même.
Humain ou techno d’abord ?
Les clients sont aujourd’hui confrontés à deux problèmes majeurs quant il s’agit des vendeurs en magasin : le manque de disponibilité (effectifs réduits ou insuffisants, y compris au niveau de l’encaissement), et le manque de compétences (niveau d’information, capacité de conseil).
Les combinaisons « humain + techno » pour y répondre sont multiples et montrent des voies différentes de revalorisation du service client en magasin:
– Première voie possible : humain + humain
Cela peut paraître basique, mais la première réponse au manque de disponibilité et d’effectifs est le recrutement, tout simplement, et dans certains secteurs, le recrutement de personnel qualifié peut (re)faire la différence. Ce n’est pas uniquement un axe de différenciation stratégique entre le web et le magasin pour marques premium comme Apple, c’est notamment le choix que Tesco a fait en recrutant 8000 personnes supplémentaires dans ses magasins britanniques pour relancer sa croissance et remettre son service client au niveau attendu. Le recrutement en magasin contribue aux autres canaux en améliorant l’image de la marque et la qualité de sa relation client, c’est donc un levier « on/off » intégrable dans un modèle économique consolidé, associant web et magasins.
– Deuxième voie possible : humain + techno
Il s’agit de renforcer le vendeur par la technologie, avec des combinaisons multiples :
i) Mise à niveau du vendeur avec son client, via l’équipement matériel (écrans ou tablettes) et l’accès au contenu dématérialisé, comme par exemple les catalogues ou argumentaires de vente digitalisés riches en information sur les produits et services, qui correspondent a minima à ce que le client renseigné a pu trouver auparavant en surfant sur Internet.
ii) Renforcement du vendeur par le contenu : du contenu statique au contenu dynamique il n’y a qu’un pas, aisé à franchir pour mettre en place des configurateurs et autres simulateurs et outils dynamiques et interactifs d’aide à la vente, sur la base des contenus digitalisés. Au-delà des simulations simples permises parfois sur Internet, des simulateurs professionnels donnent au vendeur toute sa légitimité de conseil notamment sur les investissements à fort budget, par exemple chez les constructeurs automobiles.
iii) Renforcement du vendeur par la donnée : accès à la donnée, soit interne à l’entreprise (accès à l’ensemble de l’offre non visible en magasin, disponibilité des produits en stock, prix/promos, etc.), soit client (historique des achats client), soit les deux.
L’accès aux « données internes » enrichit la qualité de service en temps réel sur le lieu de vente, dans une logique plutôt défensive quand même par rapport au web, car il s’agit surtout de ne pas laisser partir le client déçu de ne pas avoir trouvé d’emblée ce qu’il cherchait, ou de pallier au manque d’espace (ex: But). La logique devient proactive quand le format réduit devient un outil de développement de l’enseigne dans des endroits auparavant inaccessibles pour elles, comme par exemple Audi avec son showroom virtuel.
L’accès aux « données clients » développe la logique de CRM in-store et de fidélisation, qui est une des grandes tendances émergentes dans le retail. En effet le Retail CRM peut donner une seconde vie aux programmes de CRM qui s’essoufflent, en permettant l’utilisation des données au moment même de l’achat, et en faisant du vendeur lui-même un acteur de cette qualification. En renseignant lui-même les préférences de son client, et en interagissant ensuite en direct avec lui en fonction de l’actualité du magasin et des préférences renseignées, le vendeur redevient un levier majeur de service et de fidélisation, comme dans le commerce de proximité. Les secteurs de la beauté et du luxe sont bien sûr parmi les premiers sur les rangs, comme l’a initié le programme MySephora ou encore à travers les nombreuses initiatives de Nordstrom en la matière (équipement des vendeurs en iPad pour prise de mesures clients, choix d’une solution de CRM in-store pour connecter 137 magasins et 20 000 vendeurs). La grande distribution généraliste n’est pas en reste, chez Pao de Açucar, filiale brésilienne de Casino, les directeurs de magasins sont prévenus par SMS du passage en caisse de leurs clients les plus fidèles pour aller les saluer. L’enseigne envoie aussi des promotions personnalisées sur mobile pour inciter un habitué à acheter plus souvent un produit.
– Troisième voie possible : techno + techno
Dans ce cas de figure, la technologie se substitue à l’humain vendeur, pour compenser un manque d’effectifs, cibler des profils spécifiques (jeunes, clientèle pressée), ou encore « par défaut » dans une pure logique d’économie. Quelques exemples : caisses self-service qui se généralisent en grande distribution, service GoMcDo qui cartonne (1.4 million de visiteurs en octobre 2012, 90 % des clients qui ont mis à jour la dernière version de l’appli et une satisfaction des utilisateurs supérieure de 6 points à celle du simple client du restaurant), appli Scan&Go de Wallmart qui présage d’autres du même genre.
Plus la technologie se substitue au vendeur, moins elle est forcément liée au lieu de vente, et cette voie présume aussi du développement de services totalement cross-canal, ciblant le consommateur via des applications mobiles, et donnant ainsi le maximum de pouvoir au consommateur sur le lieu même de vente pour s’informer, comparer, commander, acheter… Jusqu’à la limite de la notion de self-service, car si le consommateur n’interagit avec aucun vendeur ou employé en magasin, pourquoi continuer à venir en magasin ?
Un service, des services
En conclusion, il n’y a pas une seule notion de service, mais tout n’est pas possible en même temps. Le bon niveau de service est issu d’une stratégie d’entreprise, d’un positionnement d’enseigne, d’une culture interne et d’un type de management. Toutes les pistes décrites plus haut ne pourront cohabiter au sein d’une même enseigne, et les choix faits renforceront, ou affaibliront, la stratégie business poursuivie au global. La question est la même pour tous : pourquoi venir en magasin ? Le retail n’est pas que du « pull » et la réponse aux besoins stricto sensu du client, c’est aussi de la génération de demande, de l’incitation à la découverte de nouveaux produits, de l’achat d’impulsion, du cross-sell, de l’up-sell… qui se font beaucoup plus facilement avec un support humain que sans. On pressent que la combinaison idéale est celle de la technologie mise au service des vendeurs eux-mêmes au service des clients, avec une part très optimisée pour le self-service, mais cet avenir du retail reste à écrire par ses acteurs… Alors, à quand la révolution du service en magasin ?
Thks again Youmna,
Comme d’habitude :
* clair,
*pédagogique,
*bien documenté
* pratique et utile.
Merci bcp
Cordialement
Thierry