Le 2 octobre dernier se tenait la deuxième session de l’Adobe Digital Publishing Summit à Paris, journée fort intéressante de témoignages d’utilisateurs et de présentations autour d’Adobe DPS (Digital Publishing Suite). Evolution notable par rapport à la première édition de l’année dernière, il y avait cette année beaucoup plus de retours d’expérience et beaucoup moins d’évangélisation pure autour du sujet, ce qui témoigne de l’intérêt croissant des annonceurs pour ces solutions de publication digitale, même si les acteurs du secteur ont encore fort à faire en matière d’évangélisation quand même !
En voici un compte-rendu en 7 parties :
1. Points-clés de la journée, perspective de Forrester
2. Retour d’expérience presse : Le Point (ci-dessous)
3. Retour d’expérience annonceur BtoC : Renault
4. Retour d’expérience BtoB : Rémy Cointreau
5. Retour d’expérience BtoB : Airbus
6. Retour d’expérience distributeur BtoC : Conforama
7. Focus Adobe : évolutions DPS et focus analytics
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LE POINT : Comment la tablette et la mobilité ont changé le métier du journaliste
Intervention de Etienne Gernelle, Rédacteur en chef
Etienne Gernelle commence par situer Le Point dans le paysage médiatique et en matière de présence numérique :
– Une diffusion papier légèrement supérieure à 400 000 exemplaires
– Une cible de cadres et de CSP+
– Une présence numérique variée, à travers un site web, des applications de flux, et depuis 2 ans, des applications tablette qui sont le pendant numérique du magazine, publiées avec DPS, et qui touchent quelques milliers d’abonnés à date
Pour lui, le sujet n°1 de la presse aujourd’hui est de redonner du plaisir à la lecture. Il partage les paramètres de réflexion qui lui semblent nécessaires à l’avenir de la presse, en illustrant avec les choix pris par Le Point :
1. La vitesse, la course à l’information
Aujourd’hui, une polémique peut naître et disparaître en une heure sur Internet, quand auparavant elle prenait 48h à se développer, au rythme de la publication des quotidiens. Mais ce genre de course permanente à l’information ne crée pas de valeur et devient vite une guerre de référencement. Pour lui, il faut s’en sortir par le haut, en créant l’actualité plutôt qu’en la subissant. Or être devant, être les seuls, revient à faire du luxe, ce qui est le parti pris du Point dans son développement.
Etienne Gernelle cite les 3 news magazines qui se distinguent aux US par leur réussite en la matière, The Economist (anglais mais dont plus de la moitié de la diffusion est aux US), the New Yorker et the Atlantic. Ce sont également les plus chers, et ce n’est pas un hasard, car la qualité se paie. Le sujet du Point est justement de ne pas être dans le bas de gamme, et la mission qu’il se donne est de créer le désir, créer l’offre. Etienne Gernelle insiste fortement sur la nécessité d’un marketing de l’offre de qualité, en citant d’une part le rapport de ventes de 1 à 7 entre les versions « pdf réplica » de The Economist et la version interactive, et d’autre part Henry Ford qui disait, en substance « Si j’avais demandé à mes clients ce qu’ils voulaient, ils m’auraient demandé un cheval plus rapide ».
2. Produits finis vs information infinie
Sur le web, l’information est infinie. A l’inverse, les magazines sont des produits finis, avec un début, une fin, une périodicité… Une différence fondamentale d’approche, pas forcément concurrente pour les utilisateurs finaux.
3. Gratuit et payant
Pour Etienne Gernelle, faire de la qualité nécessite forcément une part de payant.
Pour inciter à l’usage de la publication digitale, une offre découverte d’un mois offert est proposée. Ensuite, 2 modèles économiques : vente au numéro à 7,99€, abonnement 6 mois à 39,99€
4. Où je veux, quand je veux
La lutte pour le temps de lecture est la clé de tout, car les concurrents de la presse sont tout type d’activité : autant une balade, qu’un coup de fil à un copain, que le cours de sport… L’objectif est donc de pouvoir capter les lecteurs partout, à tout moment où ils peuvent avoir un moment de libre pour la lecture.
5. Ce que je veux
De la vidéo, du son… on peut tout mettre dans une publication digitale, les frontières entre les médias s’affaissent.
6. L’intimité
Le lecteur doit pouvoir s’approprier son journal, le paramétrer d’une certaine manière, le partager avec qui il le veut et comme il veut… D’où les différents formats digitaux que Le Point a, site et applis de flux d’un côté et publication digitale finie de l’autre.
Le magazine, à l’opposé du web, est un métier d’offre, il doit y avoir de la surprise, des choses que les lecteurs n’attendent pas et ne recherchent pas de leur propre chef. L’iPad, avec DPS, permet de retrouver le plaisir de la typographie et de la composition du magazine papier, auxquels sont rajoutés la qualité des images, la luminosité, l’interactivté… Il n’y a plus d’opposition entre le papier et le digital.
Au Point, la fabrication du magazine papier et du magazine digital est faite par les mêmes personnes, sur les mêmes outils (InDesign, DPS, K4 pour le workflow). Ils ont choisi de ne pas sous-traiter une activité qu’ils considèrent stratégique et au cœur de leur savoir-faire métier. Impact sur la méthode de travail : il faut penser à tous les contenus dès le début (rédacteurs, iconographie…).
A l’avenir proche, la déclinaison de la version tablettes sur tous les OS est à l’ordre du jour, ainsi que sur les liseuses web et les smartphones. Les abonnés papier (un peu moins de 300 000) auront ainsi tous accès à la version numérique.
Le gratuit doit vivre sa vie et assurer sa rentabilité avec la publicité, mais aussi apporter des lecteurs à la version payante sous toutes ses formes.
L’idéal serait d’avoir une « maison unique » avec cohabitation des flux, de la rapidité, du push, des histoires, des éditions qui ont un début et une fin… En réalité, un mix de techno et de travail d’artisan, à bien doser en permanence.
Restent également toutes les nouvelles idées à inventer, en n’oubliant pas que c’est à la presse de travailler pour ce faire, pas au lecteur, contrairement à ce qui a souvent été fait.
Pour l’instant, la version digitale semble fonctionner en étant rentable, mais c’est une activité trop petite encore pour peser sur les chiffres globaux. Le business model de la publication digitale semble meilleur que le web pur, mais les applications et le web fonctionnent ensemble, en écosystème, et s’alimentent l’un l’autre, la clé étant le nombre d’abonnés. Pour l’instant, le taux d’abonnés sur la version digitale est plus important que sur la version papier, à suivre… Les ventes au numéro baissant partout, la conquête de l’audience et sa fidélisation sont des difficultés quotidiennes, d’où l’importance de raconter de belles histoires, selon Etienne Gernelle.
Enfin, il clôt sur l’importance stratégique que revêt du coup une société comme Adobe pour un éditeur de presse, dont le business model peut dépendre en partie. Les rapports de force changent, et là où les éditeurs avaient un certain rapport de pouvoir avec les imprimeurs (ou l’inverse peut-être parfois), c’est avec les éditeurs tels qu’Adobe qu’ils les ont aujourd’hui, et probablement pas en leur faveur, en tout cas on peut en douter pour un éditeur français isolé… Un enjeu caché mais qui a son importance dans l’équation, à n’en pas douter cette fois-ci.